la croix blanche, le secret de Jules

« Quand les sangliers ont à faire face à Astérix et Obélix et... à une croix blanche ! »

Hubert ne boit pas souvent du Château La Pompe et il ne tourne pas 7 fois sa langue dans sa bouche. C’est une bien « grande gueule » !

Les « cochons » le craignent comme la peste, Obélix à coté aurait fait pâle figure…

Imaginez un peu, même s’il n’est pas tombé dans la potion magique, le bougre étalonne plus d’un quintal et 2 mètres 10 de hauteur, et je ne vous parle même pas de l’envergure…
Le poids de sa personnalité est à l’avenant, moi je fais parti des rares personnes pouvant se targuer d’avoir toute sa protection car un jour je lui avais cédé mon poste de battue.

J’avais jugé moqueur et indécent qu’il lui soit attribué systématiquement le poste 19, celui le plus éloigné de notre parking de chasse.
Les postes étaient tirés au sort bien sûr, mais le 19 trois fois de suite ça faisait beaucoup, le sort s’acharnait sur le bonhomme.

Hubert, le bien nommé, est complètement, viscéralement et étrangement féru de « cochons ». Lui-même ne sait pas pourquoi, ça le tient au ventre, aux tripes, il respire, sent, sue et rêve des « cochons ».

Sa femme, elle, est toute menue.
On aurait pu croire qu’Hubert l’a ainsi choisie pour la dominer, mais leur différence de morphologie lui permet tout simplement de mieux se poser en protecteur.
Car Hubert a un cœur tendre.
Grande gueule, mais un cœur de velours.

Après « l’affaire du poste », Hubert s’est donc fait un devoir de me « protéger », je suis son pote, son camarade de chasse, il ne faut pas me chercher car j’ai mon garde du corps personnel…
Et je connais des « cochons » qui s’en souviennent encore, sûr qu’ils vont le transmettre à leurs descendants !!!

Je me souviens gamin je tournais fébrilement les pages du nouvel album d’Astérix, et là, des années plus tard, je le vis en direct : Astérix, Obélix et des tas de sangliers dans les collines de ma chère Provence.
Mais des sangliers « stressés ». Et pour des générations et des générations de sangliers…
Si pour nourrir Obélix il fallait le plus gros sanglier possible, Hubert quant à lui se fiche royalement des Attilas de Turquie, il n’a jamais eu l’envie d’aller culbuter l’un de ces géants.
Il préfère nos petits « cochons » nourris aux herbes de Provence, c'est une question de goût…

C’est la grande ouverture des battues. Cette année le temps a été favorable, pas d’incendie, l’hiver passé des températures clémentes, un développement des cultures appétentes et nourricières. Les laies font de plus en plus de petits cochons avec régulièrement 3 portées sur 2ans, et pas des petites portées… il s’est vu des compagnies de 20 sangliers !
Bref, les collines foisonnent de grognements de suidés, les petites cochonnes n’ont pas arrêté de tomber la culotte et les gros porcs de les saillir à tout va, aujourd'hui il ne faut pas s’étonner des dégâts… Sûr, faut surtout pas leur donner du Viagra à ces cochons là!

Ce matin Hubert a donc le sourire aux lèvres, c’est sûr de sûr, il va y avoir du petit cochon au tableau…

Après la traditionnelle « veillée d’armes » on est tous déjà fatigués de la non moins traditionnelle nuit blanche d’avant ouverture. Les consignes de tir ne sont guère écoutées, les uns remettent la cartouchière en place, d’autres en sont encore au café, il y en a même un qui recherche fébrilement ses papiers dans ses poches, un autre ses clefs de voiture …
Le chef de battue distribue aux 2 « nouveaux » les gilets et les casquettes orange, ça discute de tout et de rien, puis on regagne les voitures et quelques minutes plus tard tout le monde est à son poste car le territoire de cette première battue n’est pas trop éloigné du village.

Rien n’a véritablement changé depuis la dernière traque de l’an passé, Jules nous a quitté, Pierre et Jérôme s’intègrent à l’équipe, Hubert a bien pris encore quelques bons macro grammes et quelques centimètres de tour de taille, le groupe peut s’enorgueillir de compter en ses rangs une Diane chasseresse en la personne de Solange, célibataire aguerrie et passionnée par les chiens, peut être la meilleure traqueuse du canton. Les collines respirent en cette fin de nuit, là bas au loin on entend déjà des chiens hurlant dans le vallon.
-Trop tôt pour découpler, ils sont fous !

Je viens juste de quitter Hubert, placé au 9, en garde du plus beau passage, celui dit de « la croix blanche », Dieu sait pourquoi…

Peut être par ce que le regretté Jules avait construit en contrebas une sorte de muret en forme de V en pierres, la pointe du V dirigée vers la vallée.
Ce muret d’une hauteur d’un bon mètre est visible depuis le chemin, placé en contrebas à 40 ou 50 mètres, en pleine pente. J’ai d’abord pensé que c’était un poste d’affût aux palombes qui remontent en novembre et sautent la colline avec le Mistral.

En rejoignant mon poste, comme un dernier geste respectueux pour le pauvre Jules, j’ai fait le signe de la croix, comme il le faisait lui même quand il prenait son poste.
La « construction »est faite de tas de cailloux de pierres blanches, choisies avec parcimonie, juste au dessous du tournant qui me sépare d’Hubert. On ne se voit pas, chacun gardant sa part de chemin, lui surveille sa droite, moi ma gauche, placés l’un et l’autre de part en part du virage.

Quand même bizarre que les sangliers sautent là, enfin Jules prenait souvent ce poste là, il devait bien le savoir…

Avec Hubert on a tellement fréquenté le fond de battue que cet endroit ne nous est pas vraiment familier.

Ça pousse dur maintenant, les chiens à la Solange donnent de la voix, ça remonte du vallon… Elle a même crié, plutôt hurlé « A-hou les chiens, allez ! allez les chiens !, Ah-hou, Ah-hou, Ah-hou !!! »

Je sais Hubert tous les sens en éveil, j’en suis à me dire que Solange hurlait peut être « à vous, à vous… » Mais on a perçu sa voix comme un écho seulement, comme le cri d’un naufragé en pleine tempête, le son cassé par les vagues, les syllabes brisées, les mots transportés ça et là par les vents tumultueux, remontant le vallon…

C’est plus fort que moi, il faut que je vois, je vais au plus près de la pente en restant sur le chemin.

Pour voir, ça, j’ai bien vu !… toute une grosse compagnie de sangliers monter la pente, se précipitant l’un l’autre, se poussant, la grosse laie devant, les autres qui suivent, tête à queue…jusqu’à la « croix blanche ».
Et là, à la « croix blanche », j’ai vu l’incroyable, la compagnie s’est disloquée en deux, la grosse laie montant avec quelques bêtes rousses au cul sur mon poste, les autres conduits par un jeune mâle filant tout droit sur Hubert…

Le pire pour la compagnie c’est qu’après les premiers coups de fusil et de carabine, les survivants se rendent compte de leur séparation, de leur fragilité, de leur solitude, et leur instinct grégaire soudain ressurgit… la grosse laie veut retrouver les bêtes rousses, les jeunes sont affolés, plusieurs d’entre eux font littéralement marche arrière, retrouvant leur esprit, redescendant à qui mieux-mieux la colline pour aller au plus vite à la « croix blanche »… et se refaire tirer dessus !

Tel était le secret de Jules et de sa « croix blanche ».

C’est vrai qu’Hubert avait les yeux d’un gosse à Noël, il a marché du plus vite qu’il a pu, il tremblait encore, il m’a serré dans ses gros bras. A ne pas douter c’était la plus belle battue de sa courte vie…

C’est vrai que pendant l’entre - chasse, on est remonté souvent à la « croix blanche », si on n’a pas osé prier, du moins on a remis au dessus délicatement les pierres blanches qui étaient tombées à cause des rafales de Mistral - ou du temps qui passe.

Le temps a bien passé, même Hubert est parti lui aussi, Solange est devenue une vieille femme, il y a bien longtemps qu’elle ne traque plus.
Le temps a passé, les sangliers ont changé de secteur, on ne fait plus battue du coté de la « croix blanche ».

J’y monte encore quelques fois à l’affût aux palombes.
Seulement lorsqu’il y a Mistral, le Mistral qui balaie tout : la garrigue, le muret, les derniers souvenirs…
Le Mistral qui rend fou, aussi fous que les cochons qui passaient là, à la « croix blanche »…

, Pour ce super beau récit

C'est pas loin physiquement du cher Pagnol puisque nos garrigues sont effectivement à quelques encablures, mais pour me comparer au Maître il y a là des lieux et des lieux !
Merci beaucoup, j'essaierai de me rapprocher un peu du grand Marcel à l'occasion d'autres récits en gardant toutefois la tête froide et en évitant la grosse tête !!!... il y a quelques années j'ai eu la chance de prélever un couple de grosses perdrix, j'avais alors pensé aux grosses perdrix royales du père de Pagnol, mais en fait il s'agissait tout simplement de perdrix choukar, ce qui m'a rapidement fait chuter mon égo, et c'est bien ainsi !
a+ et encore merci à vous tous
jean-paul

Merci pour ce coup de Mistral qui réveille les souvenirs...

Cette prose qui respire le thym et la lavande me rappelle l'auteur que j'ai déjà lu quelque part.
Merci et encore...

Merci à vous, c'est finalement top de réveiller 2 ans plus tard un récit, comme quoi comme un grand écrivain l'a couché sur le papier "...seuls les écrits restent"
Tant qu'un semblant de force nous pousse à courir encore quelque colline, profitons en un max. Ensuite il nous restera le plaisir des souvenirs, des rêves à l'heure des siestes réparatrices, à chaque âge sa joie, son chemin.
N'oublions jamais, le bonheur ce n'est pas l'arrivée, le bonheur c'est le chemin.
Et quand à un carrefour il y a des souvenirs aussi puissants que ceux de " la croix blanche" , tu y retournes, une fois, dix fois, cent fois. En rêve ou en vrai, peu importe, ce que tu as vécu est incrusté pour toujours.
Chacun de nous a vécu quelque chose de fort, comme ça. C'est indélébile, ça ne s'effacera jamais. Les mots sur le papier peut-être, sur internet peut-être, dans nos mémoires jamais, c'est à nous, cela nous appartient, nous les emmènerons avec nous, au delà .
Bien à vous.
Je vous souhaite le meilleur
jp