Un drôle de chien

Vous aussi vous auriez craqué… A voir sa frimousse de bâtard de première classe, moitié labrador, moitié épagneul et moitié indéfinissable, son regard de chien battu, la petite queue qui n’arrêtait pas de battre de droite à gauche je n’avais pas pu résister ! Et bien oui, encore un chien de la SPA…

Bon, est ce que celui là est un fugueur, non dressable, nullissime à la chasse, bourricot, idiot ou que sais-je encore ? Pourquoi un si jeune chien est-il à la SPA ?

Rentré à la maison, le chien Gaspar fait comme chez lui, directement sur le canapé, les yeux fixés sur la télévision, ça dure un temps, puis il file à la porte, gratte pour sortir, fait ses besoins dans le jardin, réclame la soupe et finit la tête sur les genoux après avoir léché abondamment tous les membres de la famille. Question sociable, un chien presque parfait.
A l’âge de trois mois, les sorties pissette dans le quartier se passent bien, mis à part que ledit Gaspar semble précoce question maturité de la libido canine, il monte tout ce qui passe à portée… de tir ! Chiennes, chiens, chiots, je mets cela sur le compte de sa volonté de s’affirmer, de dominer.

Question précocité, il l’est le bougre à la chasse. Pourtant avant sa première ouverture à part un arrêt ferme sur un faisan égaré, Gaspar n’a pas vraiment été en contact avec le moindre gibier… tout est à faire ! Et bien non ! Je n’en crois pas mes yeux… Ce chien qui n’est pas dressé, qui ne connait rien de son futur métier doit avoir un don, à moins qu’il ne soit la réincarnation d’un champion en titre. J’ai toujours pensé que les chiens ont une âme, celui là me conforte dans ma conviction que les âmes voyagent ainsi et que les corps sont comme des voitures que l’on change au fur et à mesure de leur usure, et que le voyage continue…
J’en suis là de mes pensées, mais le temps est à l’action… et à l’admiration ! Nous voici sur le terrain de sa première chasse…
Tout est parfait. Enfin presque, il n’y a que la conclusion qui ne l’est pas !
Gaspar est à l’arrêt, ferme, un arrêt autoritaire. La rouge n’a pas le temps de s’envoler bien loin, fauchée net et suivie comme son ombre par une compagne qui subit le même sort… un beau doublé ! Il me semble que la seconde est juste désailée, qu’à cela ne tienne, Gaspar ne tergiverse pas et choisi de stopper dans sa course celle qui aurait pu nous échapper. Il la ramène fièrement et la pose dans ma main. A peine récupérée, alors que je lui donne l’ordre d’aller s’enquérir de sa défunte compagne, le chien n’en a cure et … il fait le chien ! C’est-à-dire qu’il prend ma jambe pour objet de pure délectation sensuelle et se met à gigoter à qui mieux-mieux presque jusqu’au paroxysme…
- Assez, arrête ça !
Le ton est sans appel, alors le chien Gaspar s’immobilise enfin, reprend ses esprits et va tranquillement cueillir la seconde perdrix, rapport impeccable, remise en main propre, et il s’en suit une seconde séance de chien qui fait le chien !
J’ai bien essayé de faire ce que l’on appelle un « transfert » en psychothérapie, mais ce chien là n’a jamais voulu admettre qu’une bonne croquette est équivalente à un petit moment de tendresse à sa façon. Nous avons donc continué ainsi, une pièce, un moment de chien qui fait le chien.

Donnant-donnant.

Vous comprendrez que je n’ai jamais pu chasser en compagnie de mes collègues avec ce chien-là, ils n’auraient pas compris cette complicité. Les gibiers, ils ont été nombreux à finir sous la dent de Gaspar, si nombreux que la pauvre jambe de mon pantalon a été rapiécée, cousue et recousue par mon épouse à de multiples reprises…

- Mais qu’est-ce que tu fais donc avec ce pantalon, que tous les 15 jours je dois le rapiécer
et toujours à cette jambe ?
- Mais rien, tu sais la garrigue… Ça pique !

C’est vraiment un drôle de chien qui comprend tout, et en plus à cet instant, à voir son petit air sournois, je crois bien qu’il se fiche de moi !
Comble de l’humour, Gaspar est devenu adulte et il a pu à loisir assouvir ses pulsions avec nombre de chiennes du quartier. Mais il n’a jamais eu la moindre progéniture.
Cependant, en ce qui me concerne, et pour ne plus avoir de remarques de ma tendre et chère épouse, il m’a fallu débourser un paquet de sous pour acheter de plus en plus souvent un nouveau pantalon de chasse…