Ouverture sans frontières

Pour rassurer les modérateurs, les noms des deux compères de cette histoire ont été un peu modifiés. Donc RIGAULT et LEGERAT n’intenterons pas un procès. Le domaine des « Grandes Chaumes » ne s’appelle pas comme cela dans la réalité. Par contre je parle dans ce récit, du LOIRET et du CHER. Je vais vous faire un aveu. Ces deux départements existent vraiment mais je ne crois pas qu’ils me tiendront rigueur de les avoir cités dans mon récit.
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Raymond l’avait préparée méthodiquement cette ouverture, plus par habitude que par réelle conviction. La fougue qui anime les jeunes chasseurs était, en lui, retombée depuis longtemps. Malgré tout, les cartouches avaient été triées, inventoriées et il s’était réapprovisionné en plomb numéro huit en prévision de cette journée. Le vieux robust, lui non plus n’avait pas été laissé de côté. Dégraissé et astiqué, il retrouvait ainsi un air de jeunesse.

Mond savait ne pouvoir compter que sur lui-même cette saison. Avec ses deux chiens : Un jeune débutant inexpérimenté et un peu fou fou et sa vielle chienne qui très vite n’en pourrait plus et se tiendrait le nez dans ses bottes après une demi-heure de chasse, mieux vaudrait ne pas avoir trop de recherche à faire.

Ce matin, la chienne avait bien marqués les perdreaux, au bord d’une bande de tournesol, mais la compagnie de « grises » avait glissé à patte, loin devant et il avait été impossible de retenir le jeunot. Celui-ci s’était précipité et toute la bande, une bonne douzaine, avait décollé dans un concert de battement d’aile, bien trop loin... Inutile de risquer une cartouche à cette distance.
Après avoir engueulé le chien pour la forme, l’énervement retombé, bon perdant, Mond marmonna :
« Au moins, ça l’intéresse ! C’est toujours ça….Mais avec ça, c’te compagnie, a l’est presque sortie de chez nous ! Faut qu’ j’les contourne sinon a vont foutre le camp chez les voisins ».

Les voisins, de ce côté de la chasse, c’est le domaine des « Grandes Chaumes » Les limites à cet endroit sont matérialisées par un large fossé doublé d’une épaisse haie. Le propriétaire des « Grandes Chaumes » a toujours refusé de laisser son droit de chasse à la société, donc il faut à tout prix éviter d’envoyer le gibier par là.

Après avoir fait un grand détour Mond arriva à un endroit où les chiens semblèrent s’exciter un court instant dans une friche ; Pas longtemps…La compagnie redémarra d’un bloc à moins de vingt mètres de lui. Calmement et avec application il épaula. Dès son premier coup de feu un des oiseaux sembla se désarticuler dans un nuage de plume. Mais malgré toutes ses précautions il ne put empêcher, comme il le redoutait, le reste de la compagnie de filer sur la chasse voisine. Son deuxième coup cueillit bien un autre oiseau juste comme la compagnie prenait de la hauteur pour passer la haie. Mais voilà, avec l’élan celui-ci chuta de l’autre côté de la limite, pas très loin, dans un champ de maïs.

Déjà la vieille chienne revenait avec le premier perdreau. Mais comme elle n’avait rien du voir au sujet du second, il y avait fort peu de chance vu son grand âge que Mond parvienne à la convaincre de passer le fossé vaseux pour aller le récupérer. Quant au jeune, il semblait très intéressé par le gibier que rapportait sa congénère, mais il n’avait pas du tout compris qu’il y en avait un autre à récupérer ailleurs.

« Va falloir que j’y aille moi-même…Vain dieu ! Tu parles d’une aide que j’ai là ! » Puis à la vue du fossé «Ya pas beaucoup d’eau, mais y a au moins un mètre de vase la-dessous…Si je me fourre dedans, j’va y aller jusqu’à la ceinture…. Faut que j’trouve un passage….Et la première planche a l’est au moins à trois cent mètres . En plus, y va falloir le r’trouver c’t’endroit, en rev’nant par l’aute côté….. Faut que j’me fasse un repère……Là ! Dix mètres avant le frêne qu’est pu haut que l’reste d’la bouchure…. »

Dix minute plus tard, Mond était de l’autre côté à l’endroit repéré et il encourageait ses auxiliaires à chercher dans le maïs. Après quelques hésitations, la vieille, le nez levé, se faufila entre les rangs et à son attitude, Mond compris qu’il n’aurait pas longtemps à attendre. En effet, moins d’une minute plus tard elle revenait vers lui avec l’oiseau dans la gueule.

Juste comme il récupérait son gibier ; La surprise :
« Eh ben voilà ! Faut pu s’ gêner !» Cette voie Mond la connaissait bien. C’était ce bon à rien de RIGAULT qui venait faire du zèle.

Gérard RIGAULT, bête comme ses pieds, méchant comme la galle, employé comme commis et accessoirement garde-chasse sur le domaine des « Grandes chaumes ». Les deux compères se connaissaient de longue date et leurs premiers différents dataient de plus de quarante ans, dans la cour de l’école primaire. Ils en étaient même quelquefois arrivé aux poings ; A cette époque, pour des histoires de billes ; Plus tard ça a été pour des histoires de filles ; Ensuite des embrouilles pour la chasse…Et bien que RIGAULT dépasse Mond d’une bonne tête, les confrontations avaient toujours tourné à l’avantage de ce dernier. Lors d’un bal de 14 juillet, il avait même salement amoché le portait de RIGAULT quand celui-ci, avec quelques verres en trop, avait fait des avances un peu trop pressantes à sa petite amie. Depuis ce jour, RIGAULT tentait vainement, avec sa moustache, de masquer une vilaine cicatrice sur sa lèvre supérieure….. Tout ceci, pour dire que ces deux-là se détestaient.

« Alors là, LEGERAT, t’es pris su le fait… V’la ben qu’tu chasses su les « Grandes Chaumes » maintenant!»

« Je chasse pas. J’suis juste en train d’récupérer une pardrix qu’j’ai tiré d’l’autre côté »

« On dit ça…Mais moi j’crois que c’que j’vois… Et là j’vois quelqu’un qui s’balade avec un fusil et deux chiens su les terres d’mon patron et en plus avec un gibier à la main. Si c’est pas de la chasse, comment don que t’appelles ça, toi ?….Quand j’va y raconter ça à mon patron, pour sûr qu’ça va pas y plaire !.....Il est chatouilleux quand y s’agit d’ la chasse, tu sais! Et là, J’peux pas faire autrement que d’constater l’infraction…. T’es mal LEGERAT ! T’es mal….»

« Et ma main sur ta g…..e, ça t’e dirait, d’constater ça, aussi ? »

« Attention ! A ta place j’prendrais un autre ton. Oublie pas que j’suis assermenté. Alors des menaces déjà, c’est grave ! Mais si tu t’aviserais de passer à l’acte, alors là, ça pourrait t’ couter très cher….. Aggrave pas ton cas ! Déjà que t’es ben chargé : Chasse sur autrui, et en période de fermeture en plus…Ben oui ! Ya ça aussi. D’l’aute côté du fossé, c’est Le LOIRET, la chasse a l’ouvre p’t’être ben aujourd’hui. Mais de c’côté-là t’est dans le CHER et ici ça ouvre que la semaine prochaine…. Eh ben mon vieux ! Tu vas t’en rappeler !»

Il jubilait, RIGAULT, tout fier d’avoir coincé Mond. L’ennemi juré pris en flagrant délit. Il allait ainsi pouvoir d’un coup, effacer des décennies de frustration.

Mond depuis un moment, fixait son regard sur un sac de jute que RIGAULT avait déposé au bord du fossé…..D’autre part il savait très bien qu’il n’y avait, ni compréhension, ni compassion à attendre de cet abruti

« Comme tu veux RIGAULT…Remarque bien : Ton patron, y serait peut-être ben pas content non pu, si il apprenait qu’y a un d’ses employés qui vole du grain pour nourrir ses poulets

D’un coup, il avait le souffle coupé RIGAULT. Comme s’il avait encaissé un uppercut au plexus.

« T’as pas de preuve de c’que tu dis là LEGERAT »

« Ah oui ? Et quoi don qu’y a dans ce sac ? C’en est pas une, ça, de preuve ? Hein ? »
« D’abord le droit de glanage, ça existe après la récolte…Et pis, ce maïs j’lai pas ramassé ici….Dans un chaume que c’était »

« Moi aussi RIGAULT j’crois c’que vois. Et là j’vois quelqu’un qu’a un sac plein de catins juste à côté d’un champ de maïs sur pied. Alors ton patron, si y l’apprenait ça aussi, ça pourrait ben aller mal pour ta peau….D’autant plus que y’aurait pas que moi pour le dire….j’suis pas seul à le savoir. Y en a ben d’autres qui les connaissent tes combines. Même que quand y a pu de maïs dans les champs, tu vas aussi glaner dans les séchoirs…..Ah ! Y z’ont bon dos les sangliers ».

Mond le savait ; Il avait frappé au bon endroit. La joie jubilatoire de RIGAULT était immédiatement retombée et il avait même maintenant, carrément l’air penaud, dansant d’un pied sur l’autre sans trop savoir quoi dire.

« Di don, ça serait t’y pas des chansons qu’ t’essayerais de me faire, là ?.... »

« Pas des chansons ! Crétin !... Du chantage…..Oui ! C’est vrai qu’ ça peut s’appeler comme ça. Encore que dans un chantage on d’mande toujours des choses en échange et là, note ben que j’ te demande rin du tout. Tu f’ras ben comme tu voudras… »

RIGAULT avait remis son sac à l’épaule et commençait à s’éloigner à travers un chaume de blé, voisin du maïs.
« Avec moi ça marche pas LEGERAT… ça, J’te l’ dit…..Non non ! Ça marche pas ! Tu vas entendre parler d’moi » Ses paroles n’étaient quand même, plus très convaincantes et son allure ressemblait vraiment à une fuite.

« Comme tu le sens RIGAULT , c’est toi qui voit….. » Mond avait le sourire. Cet imbécile était bien trop froussard pour prendre le moindre risque. Il tiendrait sa langue c’est sûr.

Alors qu’il le suivait d’un regard moqueur, l’autre sursauta, surpris par un gros lièvre qui venait de jaillir juste à côté de ses pieds. Ainsi dérangé, le capucin chercha immédiatement à se réfugier dans le couvert du maïs. Mond n’hésita même pas ; Pure provocation de sa part. Il épaula et son coup de feu stoppa net le fuyard juste avant qu’il ne disparaisse dans les grandes tiges
« Hé ! RIGAULT…. Raconte z’y ça aussi à ton patron ! Qu’y me fasse un prix de gros, tant qu’à faire »

Tout garde assermenté qu’il était, RIGAULT ne releva même pas. Il continua son chemin en maronnant, avec son sac de catins sur le dos….

Mond, lui, lourdement chargé maintenant, avec ce lièvre dans le paletot, pressa le pas pour regagner au plus vite, le passage vers le «bon côté».
« Faut mieux pas s’attarder là, on sait jamais, si je tombais su les casquettes vertes, là, ça serait une aut’e histoire »

Puis, une fois repassé dans la légalité, il eut une pensée à haute voix pour RIGAULT « Un âne, même assermenté et même avec une casquette….ça reste un âne. ….Avec une casquette en plus, ben sûr, mais un âne quand même».

Sur ces intenses réflexions, il se dit qu’il était bientôt 10h30, que le soleil commençait à taper dur et l’idée de porter ce gros lièvre dans le paletot, toute la fin de matinée ne le séduisait guère. Un repli stratégique vers la voiture s’imposait donc.

Il y avait aussi une bouteille de sauvignon qui attendait au frai dans la glacière. Par ces chaleurs, ça n’aurait pas été raisonnable de la faire attendre plus longtemps….C’est vrai que le vin blanc, passé 11h ça n’a plus vraiment le même gout…...

Belle histoire

Merci bluy 45 pour cette histoire très joliment conté!

Sympa

une belle histoire bien de chez nous comme on les aime.Sympa

Belle histoire que tu nous racontes là. Merci du partage.

belle histoire et bien racontée, merci.

Quel talent !!!

Bonjour,

Tu arrives même à écrire l'accent berrichon. J'ai rajeuni de 25 ans en lisant ton histoire, mon grand-père m'en racontait toujours dans le même genre quand j'étais gamin. Toujours des histoires de gardes champêtres, de braconniers, de chasseurs, etc. J'ai vraiment retrouvé le même esprit dans ton histoire, j'y ai même retrouvé son accent, alors merci beaucoup de nous avoir narré ça.

Belle histoire! Super.

Un grand merci à toi Bluy45 pour cette histoire si joliment contée! On s'attend à ce que Raboliot et Sarcelotte sortent des taillis à tout moment, poursuivis par Bourrel...
Vraiment un très grand talent de conteur que tu as et qui a failli me coûter d'être en retard au boulot ce matin car je n'ai pu m'empêcher de lire ton histoire jusqu'à la fin!
Encore merci pour ces lignes qui sentent bon le terroir!

Insulaire a écrit:Un grand merci à toi Bluy45 pour cette histoire si joliment contée! On s'attend à ce que Raboliot et Sarcelotte sortent des taillis à tout moment, poursuivis par Bourrel...
Vraiment un très grand talent de conteur que tu as et qui a failli me coûter d'être en retard au boulot ce matin car je n'ai pu m'empêcher de lire ton histoire jusqu'à la fin!
Encore merci pour ces lignes qui sentent bon le terroir!

Moi ça n'a pas que failli, en plus j'ai pris le temps de mettre un p'tit message, enfin bon l'avantage c'est que j'embauche quand je veux , fini un peu plus tard ce soir c'est tout, mais ce récit de Bluy45 en valait la peine, il m'a rappelé de très bons souvenirs d'enfance

AFONDEBALLE36 a écrit:

Insulaire a écrit:Un grand merci à toi Bluy45 pour cette histoire si joliment contée! On s'attend à ce que Raboliot et Sarcelotte sortent des taillis à tout moment, poursuivis par Bourrel...
Vraiment un très grand talent de conteur que tu as et qui a failli me coûter d'être en retard au boulot ce matin car je n'ai pu m'empêcher de lire ton histoire jusqu'à la fin!
Encore merci pour ces lignes qui sentent bon le terroir!

Moi ça n'a pas que failli, en plus j'ai pris le temps de mettre un p'tit message, enfin bon l'avantage c'est que j'embauche quand je veux , fini un peu plus tard ce soir c'est tout, mais ce récit de Bluy45 en valait la peine, il m'a rappelé de très bons souvenirs d'enfance

Euh, moi, c’était un peu différent et j'ai eu chaud aux fesses car j'ai failli être en retard pour l'embarquement... J'avais un avion à prendre!!!

Effectivement, c'est pas pareil, tu peux pas le décaler celui-la

Houlàààààààààà! Je n'avais pas vu! S'il savait ça, Raymond, que ses engueulades avec RIGAULT ont généré des retards sur les aéroports...........

@bluy45 A tout hasard, ça serait pas toi le Raymond de l'histoire ?

AFONDEBALLE36 a écrit:@bluy45 A tout hasard, ça serait pas toi le Raymond de l'histoire ?

Non! Non!.....Raymond existe vraiment. Comme tous les personnage de mes récits. Mais, discrétion oblige, il ne s'appelle pas Raymond.

bluy45 a écrit:Houlàààààààààà! Je n'avais pas vu! S'il savait ça, Raymond, que ses engueulades avec RIGAULT ont généré des retards sur les aéroports...........

Ah ah! C'est ce qu'on appelle l'effet papillon!