Mon premier sanglier

C’était dans les années 2000. Dans ma communale, l’année précédente, j’avais pris une carte pour rejoindre le groupe (la bande) de copains qui se retrouvent les dimanches d’hiver pour réguler (dézinguer) les sangliers de passage. Pas de chance, pas un cochon à ma portée, mais quelques signes me laissant penser que ça pourrait bien m’arriver sans tarder, j’avais fait préventivement l’acquisition d’un superposé Verney Carron « gros gibier ».

Et le grand jour arrive. Aucun ancien n’ayant le souvenir d’avoir aperçu un sanglier au Bois des Dames l’ambiance y est bon enfant, on plaisante de poste à poste … TUUT TUUT TUUT ! Trois coups de trompe venus du gros roncier et les balles glissent dans les chambres, le silence devient total, le temps s’arrête.

Soudain c’est du Suppé, la « charge de la cavalerie légère », une musique glaçante qui vient de loin et se rapproche inexorablement sur ma droite. Là il y a Bernard, son semi-auto et … une laie énorme qui gicle sur la ligne à quelques mètres de ses jambes. C’est pour lui, je le laisse lâcher ses trois coups (un peu précipités) et … RIEN … c’est à moi : épauler, suivre, dépasser le groin tout en veillant à ne pas baisser le fusil, et presser la détente dans le mouvement.

Une seconde, une seconde pas plus et même beaucoup moins pour passer de la concentration totale au bonheur parfait puis à la désillusion la plus cruelle ! Je vous explique. Le coup est parti, le sanglier est passé cul par-dessus tête, foudroyé par une balle de cou, une image inoubliable … jusqu’à ce qu’à ma droite une clameur gigantesque venue des poumons de mon Bernard fasse vibrer tous les échos du Bois des Dames : « JE L’AI EU ! ».

La suite a d’abord un goût amer. On se retrouve pour le verre de l’amitié et du succès, on congratule mon Bernard pour sa grande maîtrise et je digère en silence la perte mon premier sanglier. Comment ne peuvent-ils pas remarquer que Bernard l’avait « en cul » et que la seule balle, mortelle, l’a pris de travers ?
C’est Julien qui, avec un verre de vin chaud m’apportera le réconfort : « il se peut bien qu’il l’ait tué avec ta balle ». Ils avaient compris et, pour un petit mensonge, ils faisaient deux heureux.