Le Bois de l'ARNEDE

LE BOIS DE L’ARNEDE



"Papa, depuis combien de temps tu aimes la chasse"

Alors que je suis en train de nourrir mes chiens, mon fils me cueille à froid par cette question :

" Depuis toujours"

Mais comme les réponses courtes ne satisfont que très rarement nos enfants, il s'étonne :

" Mais ce n’est pas possible, quand t'était bébé, tu ne chassais pas......."

Ce n’est pas faux..., mais alors depuis combien de temps ?

Commencer par le début, là où tout a débuté revenir 40 ans en arrière, se rappeler de ces odeurs de pain grillé et de café, les pas de mon père dans le couloir, qui s'affaire dans la maison chaude en cette fin du mois de novembre, à préparer le nécessaire pour cette nouvelle journée de chasse.

Nous sommes dans la fin des années 70, la cuisinière à charbon, donne tout ce qu’elle peu pour réchauffer la maison et la daube que ma mère vient d’y enfourner pour s’assurer d’une cuisson lente et délicieuse étend dans la maison un parfum épicé qui éveille nos sens. Le poste radio crépite sous les dernières informations divulguées d’une voix monocorde par Radio Monté Carlo. Dans ce village du Languedoc où la viticulture fait encore vivre la grande majorité de la population, la chasse est le ciment social qui permet à toutes les générations de se rencontrer, d’échanger tout comme les matchs dominicaux de l’équipe locale ou les réunions souvent houleuses de la cave coopérative….

Les pas vont et viennent sans jamais s'arrêter devant ma porte, faut dire que les choses sont claire entre mes parents moi :

" Si tu veux m'accompagner à la chasse cette saison, faudra s'appliquer à l'école "

L’ultimatum était tombé un soir de septembre lors de ma première journée d’école.

Malheureusement, j'ai un gros problème avec cette institution, non pas que je ne comprenne pas l'intérêt de la scolarité, mais je ne me sens pas bien enfermé entre ces murs, mon esprit est toujours dehors, à poursuivre les moineaux et autres rouge gorge, toujours accompagné par la fronde que m'a fabriquée mon père, et je paie régulièrement ses escapades et les bulletins se suivent et se ressemblent : " A des capacités, mais doit être plus attentifs, peu mieux faire"



Comment expliquer à mes parents, que la seule chose que je veux faire à 10 ans c'est chasser.......alors la mise en cause de ma sortie dominicale derrière les chiens, armé de ma fronde est devenue le chantage le plus ignoble, que je suis amené à vivre. Et c'est assis sur mon lit dans le noir, que j’écoute avec attention les faits et geste de mon père en espérant qu'un peu de pitié le fera pousser ma porte. Je sais aujourd'hui que nous vivions la même punition, moi de n'a pas pouvoir y aller, lui de ne pas pouvoir me prendre....

Mais cette semaine-là, j'ai espoir, car par le plus grand des hasards j'ai ramené de l'école quelques notes supérieures à la moyenne, bref ce matin-là, la pitié ou la compassion eu raison de mon père, et la porte s'ouvrit:
" On part dans 5 minutes"

C'était bien suffisant, j'étais déjà presque habillé (on ne sait jamais). A peine sortit, un froid vif et glacial me fouetta le visage, par réflexe je remontais mon col et courut m'installer dans la petite fourgonnette dédiée aux chiens et chasseurs. A cette époque le lapin était le gibier de prédilection des chasseurs méridionaux et c'est en famille que la partie de chasse ce réalisait. En compagnie de mon grand-père, de mon oncle, et mon cousin, nous formions une armée de joyeux Nemrod. Me rappeler ces instants, me font toujours montés quelques larmes, car le plaisir que me procurait ses instants, amplifiés par mes souvenirs d'enfants valaient tous les cadeaux et je suis sûr que tous les parcs d'attractions du monde ne m'auraient pas procuré autant de bonheur.

Après quelques minutes de route, la porte de la fourgonnette pouvait s’ouvrir pour libérer la meute de petit beagles, qui immédiatement rentrait au bois suivit de près par mon père et de mon oncle, mon grand-père lui est chargé de nous placer au tour du bosquet, et vu notre jeune âge, c'est très prêt de lui que nous attendions, la venue d'un éventuel lapin.

Aujourd'hui mon cousin est venu avec sa carabine 9mm MANUFRANCE flambant neuve, en effet bien que nous ayons le même âge ses résultats scolaires sont bien supérieur au miens et l'arme est venue récompenser les résultats d'un premier trimestre excellent. Je n'ai encore rien vu d'aussi beau, je ne quitte pas ce bijou du regard, je me sens bien ridicule avec mon morceau de bois entre les mains et je maudis encore plus l'école responsable à mes yeux de tant d'injustice. Mon cousin avec qui les liens sont encore très fraternels eu pitié et bien que je ne lui avais pas demandé me dit :

"Tu veux la tenir ?"

Mon grand-père amusait par la scène, autorisa la transaction et ce fut avec une joie indescriptible que je récupérais l'arme et nous dit :

" Vous l'aurez 10 minutes chacun"

Toute la matinée l'arme passa de main en main avec la montre de mon grand-père comme arbitre. Les lapins étaient nombreux dans nos territoires, mais ce jour-là, le froid qui ç´était abattu depuis quelques jours, ne donnait pas envie aux boules grises de sortir de leurs terriers.


Alors que la matinée touchée à sa fin, mon père décidât de faire un dernier bosquet appelé " Le bois de l'ARNEDE", seulement 2 lapins avaient déjà culbutés sous les gâchettes de mon oncle et de mon père, et comme nous étions 3 familles, il en manquait un et c'est donc dans ce fameux bois que nous devions finir notre matinée.
Les petits beagles avaient fière allure, leurs vaillances et leurs déterminations, malgré ce froid glacial, me subjuguait. Mon grand-père venait de me remettre la carabine pour la dernière rotation de la matinée, c'est alors que d'une seule voie les chiens mirent un Jeannot sur pied, tremblant et concentré à l’extrême j’entendais la musique venir vers nous et un flèche grise giclât dans la vigne à quelque mètre de moi, naturellement la crosse était montée à mon épaule et tout aussi naturellement j'avais appuyé sur la gâchette, le claquement de la petite munition m'avais surpris et il me fallut quelques seconde avant que je réalise que je venais de tirer. Mon grand-père en retrait de quelques rangées, me dit

" Alors ?????? Il y est?????"

Je couru dans la rangée dans laquelle l'animal avait disparu, et à quelque mètres de mon coup de feu, la boule était là, inerte, foudroyée. Je ne peux pas encore aujourd'hui vous décrire ce que j'ai ressenti à ce moment-là, car 40 ans après mes poils se dressent encore et des frissons parcoure mon corps, mon grand-père hurlait de joie, mon père accouru derrière ses chiens faisait des bons en criant

" Tu l'as eu.........tu l'as eu...."

Je pense que c'est à cet instant, que suis devenus amoureux de cet art qui est la chasse, c'est à cet instant entouré des miens que suis rentré sous les ordres de St. Hubert. A ma lecture je pense que vous aussi vous repenserai à votre premier tableau et aussi bizarre que cela puisse paraître, vous vous souvenez de tout sur le déroulement de cette chasse, l'endroit, les gens qui étaient avec vous.......comme on souvient toute la vie de sa premier petite amie ou de la première mobylette, mais chez nous chasseurs ce moment-là est plus qu'une symbolique c'est aussi un acte qui nous fait grandir et qui nous fait passer du stade de " porte musette" au stade de prédateur, une sorte de rite initiatique qui nous fait passer la porte d'un monde que l'on mets toute sa vie à découvrir, celui de la chasse.


Alors oui mon fils, ça fait longtemps que j'aime la chasse et j'espère l'aimer longtemps encore, c'est encore un acte de liberté que l'on peut pratiquer comme l'ont pratiqué les hommes depuis la nuit des temps. Aime la toi aussi, si la passion te prends, mais pratique la toujours dans le respect des animaux et des autres utilisateurs de la nature.


A mes parents.

Bernard BILHAC
Décembre 2014

Vraiment une très belle histoire         

Beaux récits...

Merci de ce beau partage.

Quel,Sublime récit !
En effet, cela dresse nos poils, quel chasseur ne se rappelle pas ses premiers pas, ses premières émotions, son premier gibier ?
En notre monde si organisé et connecté, la chasse reste une des dernières vraies aventures naturelles. Elle qui ravit les âmes et, chose admirable, procurent encore la même passion, les même montées d'adrénaline que ressentaient nos ancêtres, et ceci depuis la nuit des temps...N'oublions jamais que c'est la chasse et la maitrise du feu qui ont notamment permis l'évolution de l'humanité, pour donner aujourd'hui quelquefois quelques "pisse froid" qui voudraient nous contester le fait de faire perdurer ce noble art...
Enfin oublions ceux ci et partageons ensemble ce si précieux cadeau de la vie, sous le regard bienveillant de St Hubert...

"Vous me demandez si je chasse demain ? Cela revient à me demander si demain je respire..."