Le vieux

Je suis posté en battue, en remontant la pente je constate qu’une petite voiture est garée là, entre les deux gros pins, juste sur le pas. Cela ne me plait pas trop, si un cochon franchit, il va sauter n’importe où pour filer dans le vallon en contre bas… Contre mauvaise fortune, je me place un peu plus loin tout en maudissant le ramasseur de champignon.

Des champignons, les rouges, les sanguins, il n’y en a guère…ils sont tous sortis 3 à 4 jours après le confinement, un peu comme les passages de palombes, les bleues n’ont pas entendu beaucoup de coups de fusil, cette année elles sont passé tranquillement …

J’en suis là de mes pensées habituelles au poste, surtout celui-là de poste, un poste à couillonville, il y passe au mieux 1 ou 2 cochons par an ici, et encore… comme le disait mon père «il faut avoir le cul bordé de nouilles pour y réussir là ! ». Je n’ai jamais vraiment compris l’image, mais il était comme ça, toujours avec des expressions alambiquées apprises je ne sais où, peut-être à l’armée puisqu’il y avait fait carrière.

D’abord je perçois un léger tintement qui se rapproche, puis je vois une touffe de poils qui se dirige droit sur moi, ou plutôt sur le sandwich que je viens de commencer… c’est un chien courant, type batard, court sur pattes, c’est le moins que l’on puisse dire…
- Alex, allons, laisse le Monsieur tranquille, allez, viens !
- Ce n’est rien, c’est le sandwich qui l’attire !
Le fameux Alex est soit sourd comme un pot, soit inobéissant, ou les deux peut-être… en tous les cas il ne veut pas décrocher de mes pattes et son corps se tend tout entier vers le graal en pain avec du jambon cru à l’intérieur.
- N’y faites pas attention, il est sourd, il est vieux ! comme son patron !

C’est vrai que le patron n’est pas jeune, la barbe drue, blanche tout comme sa tignasse, les yeux malicieux et enfoncés, bleus comme l’azur, la démarche très lente, claudicante, tâtonnante. Ce qui n’empêche pas le vieux de porter en bandoulière un énorme fusil automatique au canon complétement débronzé, blanc lui aussi. C’est un beau vieux, je me dis qu’il a dû faire quelques ravages dans le cœur des dames à l’époque. Le cabot a compris qu’il n’aurait rien question sandwich, alors il file droit devant pisser de rage sur la plus grosse pierre en bordure du chemin.

- Ah, ce chien, rien à voir avec sa pauvre mère…

Je sens que le vieux a envie d’en dire plus, je lance au hasard…
- C’est plutôt un courant non, il fait le lièvre ou les lapins, il n’y en a guère ici non ?
- C’est surtout un baladeur, il n’a pas levé grand-chose ce chien-là, alors que sa mère elle au moins…

J’attends tranquillement la suite, nul besoin de le relancer, nul doute que le papi va en dire plus…
- Je vais vous dire, sa mère il ne fallait pas lui en compter, mais que le poil, la plume ça ne l’intéressait pas… n’empêche, la Fanny, elle se faisait vielle, c’était ici même, c’était il y a quelques années, mais je m’en souviendrais toujours… La Fanny, elle n’a jamais rapporté quoique ce soit, elle levait les lapins, les lièvres, elle faisait de belles menées, comme vos chiens avec les cochons. Moi, les battues ça ne m’intéresse pas, j’aimais bien la chasse avec Fanny… maintenant ce n’est plus pareil, le chien Alex je crois bien qu’il est un con…
Bizarre ce mot dans la bouche du vieux, c’était incongru, ça n’allait pas avec le personnage, il l’avait dit comme ça, il devait le penser très fort…

- Et bien, sûrement un pur hasard, elle a dû y marcher dessus sans le faire exprès, la faisane a fusé droit vers le vallon, j’ai tiré plus par réflexe que par conviction, ça a plumé, elle s’est laissée glissé en contrebas, dans le sale, là où les cochons font parfois leur couche, c’est vous dire… je l’ai perdu de vu, elle a dû tomber encore plus loin !
Le vieux revit la scène, je le sens angoissé, comme il devait l’être ce matin-là… sûr que la poule il ne l’aurait pas, qu’elle crèverait comme ça, dans la souffrance, pour rien, un crève-cœur pour ce vieux chasseur…
- La Fanny l’avait suivi du regard elle aussi, mais à quoi bon, c’était une bonne chienne, mais je vous le répète, elle n’avait jamais rapporté ! Alors j’ai vu la Fanny descendre le vallon, s’enfoncer dans le sale, après je l’ai entendu glisser dans les argelas, et puis ensuite, même le grelot je ne l’ai plus entendu, elle devait être loin… Ce que je vais vous dire, je ne l’ai jamais dit à personne, c’est un secret, même ma femme ne le sait pas… la Fanny, elle est revenue, au bout de plus d’une demi-heure, la poule faisane dans la gueule. Elle n’en pouvait plus, elle soufflait comme une bête blessée. Elle m’a remis dans la main cette fameuse bête, je voyais ses yeux, elle était heureuse. J’ai pris la poule, j’ai littéralement embrassé ma Fanny, je lui ai dit « Tu es une bonne chienne », j’ai dû lui dire ça trois fois, peut-être plus, je ne me souviens pas. Après, la chienne a fait quelques pas, ses pattes ne la portaient plus, elle a fait un demi-tour sur elle-même, elle m’a regardé, elle s’est effondrée. Elle est morte dans mes bras, net, comme ça…

Et là, le vieux a fait un geste, en larmes. Il a jeté toute son impuissance contre le premier pin à proximité, il a jeté toute sa tristesse comme un caillou jeté contre l’écorce de l’arbre. Et puis, il me regarde, il regarde le chien, l’autre imbécile, l’Alex qui semble comprendre qu’il est temps d’obéir, de rentrer. Alors le chien Alex fait une dernière pissette contre le gros caillou, il rejoint son patron à petits pas comptés, direction la petite voiture bleue.

Elle a mis un certain à démarrer la petite voiture, elle a même fait un zig zag avant de rejoindre la piste.

Le vieux, je ne l’ai jamais revu. Mais son histoire, elle est inscrite pour toujours dans ma mémoire. Je ne sais ce qu’il faut en penser, l’abnégation d’un chien qui va jusqu’au bout pour son patron, la tristesse énorme d’un vieux chasseur qui a perdu le chien de sa vie, qui est aujourd’hui avec un compagnon à quatre pattes aux qualités bien réduites comparées à celles de sa mère… Je n’ai pas eu le temps d’échanger plus longtemps avec ce vieux chasseur, mais j’en ai gardé une grande certitude, que la chasse nous réserve le plus beau, et le pire en même temps, que la chasse nous fait vivre les plus grandes émotions, qu’elle nous fait vivre.
Que c’est la vie. Et la mort qu’il nous faut accepter en même temps, même en jetant de colère un gros caillou tout blanc contre l’écorce d’un arbre.

Super;merci

Ou j’habitais avant,il y avait 3 vieux,2 frères et un de leur copain,un des frères et l’autre avait tjrs eu des chiens.
Ils venaient au début autour de chez moi et on chassait chacun de notre côté,puis on a sympathisé.les vieux à 9 h étaient chez moi tout le temps et finalement on chassait tjrs ensemble.moi au chien et eux au fusil,un d’entre eux était un redoutable tireur,
Ils m’ont fait connaître toute la commune et moi je les ai fait chassé pendant 5 ou 6 ans.il y avait du lapin,du renard,à nous quatre on tuait 5-6lapins tous les jours de chasse ou presque.ils étaient heureux le soir d’avoir entendu de belles menées et de rentrer avec des lapins