Ils sont tous là

Tout commence comme à l’accoutumée.
Journée d’automne encore chaude, bienfait du réchauffement climatique ! On ne porte pas encore les polaires, les chaussettes légères suffisent, les pieds restent bien au chaud et les moufles sont au placard.
Il y a bien le Gaston qui a mis son bonnet de laine, mais bon, il est plutôt ridicule… un peu comme les gugusses à la piscine municipale avec le bonnet de bain, pas trop top quand même ! Il y a beaucoup plus sexy que ça…
Il fait à peine frisquet. Ils sont tous là.

Au cabanon, on avait débarrassé la table et le chef de battue avait dit la « messe » alors que ça discutaillait ferme. Personne ne l’écoutait vraiment.
On est quand même bien nombreux, je crois qu’il ne manque personne.

Il y a quelque chose d’indécent.
On est devant le numéro 1198.

Toine est là aussi, pourtant ça fait un bail qu’on ne l’a pas vu aux battues.
Lui, il a fait de la politique, on l’appelle « le communiste », enfin, maintenant il est du parti qui regroupe un peu tout, les anti – tout, les pauvres gens qui ne croient plus en grand-chose et qui survivent grâce aux allocs, les illuminés et ceux qui n’ont plus la lumière au plafond.
Toine est respecté, c’est un gars qui a du cœur, mais aussi un gros - gros défaut : il est très autoritaire.
Le vent se lève un peu, la Solange couvre son visage avec son châle.

Je ne sais pas pourquoi, je me souviendrai longtemps de ce putain de numéro, le 1198.

Chacun connait sa place, les équipes sont formées, chaque chef de ligne regroupe ses postés.
On a déjà perdu le Toine, il a déjà du partir.

Le Toine il est très autoritaire, et aussi indiscipliné. Marcel est furieux :
- Le con, il va encore nous le faire ! il va nous couper les cochons qui sautent à Fontpré, il commence franchement à nous emmerder ce con !!!
Pour que le Marcel dise 2 fois « con » dans la même phrase, c’est que c’est sérieux, c’est la grosse colère…
Francis, le chef de battue, a pris l’air des mauvais jours, moins une qu’il annule la battue, mais le Toine, c’est quelqu’un au village.
Il hésite, ça va faire du foin…

On est là, mais on y est pas, c’est un peu irréel, la quatrième dimension…

On y est allé quand même, tous placés aux postes par les chefs de ligne. Consignes de tir, l’angle de 30 degrés, le respect du gibier, ne pas tirer la grosse laie de devant, pas les rayés non plus, ni les trop petits, ni les « biquettes », que le « broc » s’il est bien tirable, on n’a pas beaucoup de bracelets de chevreuils…
Ca c’est déroulé comme ça.
La battue a déroulé elle aussi, comme d’habitude, ou presque.

« Les chiens ont commencé a mener aux Trois pierres, ça a suivi sérieusement au Parisien, puis à Fontbernard ça s’est bien rapproché, les chiens devenaient fous, ça a sauté aux Palettes, je crois que le Jean a tiré une fois, puis une autre fois, il y a eu la corne qui annonce la mort, mais ce n’était pas fini, ils étaient plusieurs, ça a sauté plus loin encore, sur la ligne de la déverse, avant Fontpré… »
Maintenant c’est au tour de Pierrot de raconter, Pierrot il n’a pas l’habitude de parler, il se force :
« Moi, j’étais au 18, c’est Lucien qui tire au 16, c’est Lucien qui a tiré au 16, c’est Lucien, c’est sûr, c’est Lulu… »
On sait tous que c’est Lulu, qu’il a vu le gros passer, les autres derrière, au moins trois de vu, qu’ils ont franchi le chemin, vite, très vite, trop vite, que Lulu a été pris de vitesse, qu’à l’instant où le dernier passe le monticule, Lucien lâche la seule balle qu’il a tirée…

Le capitaine de gendarmerie a tout noté.
Ils ont fait des expertises, des mesures, des auditions... ça n’a rien changé pour le Toine.
Le Toine qui s’est placé tout seul en fond de battue, loin derrière la ligne, pour faire le dernier cochon surement, un peu comme à la belotte en fin de partie, ou au poker, la carte maitresse, la dernière que l’on abat…

Et ce matin on est tous là.
Un véritable cauchemar, devant ce putain de caveau et son numéro.
Le 1198.
Avec le Toine dedans.

Beau récit que  la dernière aventure de Toine…….
Après avoir lu l’histoire de sa vie, je n’aurais jamais cru qu’il deviendrait ce que tu nous décris.  Con à ce point, ça parait impossible
Attristé aussi de voir que l’histoire de Toine s’arrête ici.
Mes condoléances à la petite institutrice.

Oui, beau récit; Toine n'a jamais voulu rentrer dans le moule, il a fait son choix

R.I.P Toine.

Beau récit !