Surtout, ne fais jamais ça !

Surtout ne fais jamais ça !
C’est l’éternelle rengaine de celui qui sait à celui qui apprend.

A la chasse c’est pareil. Sauf qu’à l’époque il n’y avait pas de chasse accompagnée, on apprenait sur le tas, « à l’ancienne ». De temps en temps l’ancien prodiguait un conseil, avec parcimonie, au compte goutte ; on avait beau être délurés et indisciplinés, on écoutait le vieux.

A se demander s’il ne me surveillait pas de loin, dès que je faisais quelque chose de travers, hop, il rappliquait et ça ne ratait pas, il y allait de son refrain :
-Surtout ne fais jamais ça malheureux !

Ah, cher Oncle…

C’était un as du bricolage, là il n’y avait rien à dire : je repeignais le portail, ça dégoulinait par terre.
-Malheureux, ne fais jamais ça ! D’abord tu dois mettre des feuilles de journal en bas, et puis il faut croiser ! On voit moins les traces du pinceau et la peinture ne dégouline pas…
…voyons Jean-Paul, un peu d’idée !

A la chasse, j’avais un gros avantage, j’en connaissais « livresquement », je pourrais même dire
« bibliquement » mille fois plus que lui …
…mais un gros désavantage, j’étais toujours le neveu, le minot, le néophyte.
Bref, je devais le respect, l’écoute, l’attention aux généreux conseils prodigués par sa Sainteté qui savait tout.
Ou au moins faire semblant.
Pour donner le change.

-Ne fais jamais ça malheureux !!!
On en était au rechargement des cartouches. Mon Oncle ses cartouches de 12, moi celles pour le petit calibre 16. Je mettais parcimonieusement la poudre T dans le doseur, puis dans le tube de la cartouche. Mon Oncle m’avait surpris : j’étais en train de rajouter un « chouilla » de poudre en sus, juste le petit complément qui me faisait croire, dans mon esprit de gosse, que ça en ferait LA cartouche, un peu comme Neltir avec SA spéciale au renard… mais lui il n’a plus 15 ans…

J’ai fait semblant d’enlever le surplus que j’ai remis illico-presto sitôt que mon Oncle a remis ses loupes pour se remettre au travail.
Enfin quand je dis travail…c’était notre grosse détente, notre moment de « druides » qui font la potion magique, le moment était aussi magique, on ne disait rien, on était ensemble, c’est inoubliable.
Mais il ne pouvait pas s’empêcher toutes les 10 minutes de trouver un truc pour placer son fameux
« Ne fait jamais ça malheureux » qui me cassait un peu l’ambiance et le plaisir.
En termes clairs, il me « gonflait » !!!

A la fin, on mettait les cartouches en carton en rang, classées par numéro, on les regardait, c’était Noël.

Les miennes étaient un peu gonflées : trop de poudre, trop de plomb, à la limite de la saturation.
Le 16 a toujours encaissé, et pour cause, c’était un Robust, celui de LA Manufacture. Mes épaules un peu moins, au bout de 10 cartouches j’avais un bleu énorme à l’épaule ! Quand le toubib voyait ça à l’occasion des vaccinations obligatoires qui avaient lieu en septembre à la rentrée des classes il disait toujours qu’il allait m’interdire la chasse, je lui promettais de changer de fusil, ou de cartouches, ou les deux et on se revoyait l’année suivante, ça a duré un certain temps…jusqu’à ce que j’arrête la fabrication des cartouches, ou même avant, parce qu’il est mort avant.

Avant l’ouverture, mon oncle faisait quelques cartons, c’était réglé comme une montre, ça faisait parti de la tradition. La veille du jour J, on entendait aux quatre coins du village des « boums », quelques uns aussi qui venaient de fermes plus éloignées.
C’était notre feu d’artifice perso, à nous les chasseurs.

Au village il n’y avait pas encore de « Ball-trap » et en ce qui concerne la sécurité… je me rappelle que l’oncle mettait son carton en plein milieu de la route, tenu par une baguette de bois et… « boum », on allait au résultat.
Le carton criblé et une pauvre poule de la grand-mère aussi, vingt pas derrière.
Les poules, elles étaient « bio » naturellement, libres de gambader toute la journée au jardin. Le soir on les rentrait, on aurait dû le faire en ce jour de tradition, mais bon… c’était de bon augure, les cartouches à l’Oncle tapaient bien.

Moi je ne participais pas à l’exercice, j’avais trop peur de m’éclater l’épaule pour rien, d’entendre une fois de plus la remarque traditionnelle, de fatiguer inutilement mon Robust et de perdre mes sous en amusement de gamin, c’est vrai qu’à l’époque je n’étais vraiment pas riche et qu’une cartouche… c’est une cartouche.
Je préférais réserver la poudre et le plomb aux gibiers… et j’aurais surement fais encore plus de trous au carton et plus surement encore passer de vie à trépas non pas une mais au moins deux poules à Mamie.
Elle aurait fini par gueuler !

Il y a belle lurette que les poules à Mamie ont toutes été mangées, que Mamie est partie, qu’on ne fait plus les cartouches.
Il n’y a plus la journée traditionnelle des essais de tir, le village a bien grandi, moi aussi.

Je repeins mon vieil appartement à Toulon, il est midi, il fait très chaud, j’ai posé le pinceau.
L’Oncle est là, planté devant moi, bientôt 90 ans, le sourire en coin.
Je sais qu’il va le dire…

Il sourit vraiment, il rajuste ses loupes, il inspecte le travail, il me regarde:
- C’est du bon travail, alors c’est l’heure, on le prend ce pastis !

Magnifique récit qui me rappelle autant de bons souvenirs en Provence à l'époque .

Bientôt 90 ans et il te surprend encore ...
Merci pour l'histoire.

Merci de nous faire partager cette belle histoire

Merci ; tu en as de la chance d'avoir ces beaux souvenirs .

merci pour ce retour en arrière que j'ai fait en te lisant.

De belles tranches de chasse à savourer sans modération.


Oups , je ne pensais pas à vous les modos.

Merci J Paul

Souvenirs, souvenirs...
Merci.

C'est là  tout le problème de la transmission du savoir intergénérationnel que tu nous résumes là. L'expérience est quelque chose de propre à chaque individu. Transmettre un savoir soit, mais l'expérience ne peut qu'être basée sur du vécu, chaque être a besoin de réaliser les tests dans l'époque et le milieu qui sont les siens et qui lui octroieront sa propre expérience.
Les expériences du père et du grand père, ne sont pas forcément à reproduire par les jeunes d'aujourd'hui. Le hic, c'est que de nos jours, le monde évolue plus vite que l'esprit humain et nous sommes tous tentés de vouloir transmettre nos expériences vers les générations qui nous suivent. Ça passe rarement, c'est d'ailleurs souvent source de conflits et le peu de fois où ça marche, on leur évite bien souvent une connerie.....Pour les amener à en faire une autre.
Cela dit, merci jean-Paul pour cette belle histoire.

azor a écrit:De belles tranches de chasse à savourer sans modération.


Oups , je ne pensais pas à vous les modos.

Plus sérieusement : J'aime tes récits Jean-Paul .....

Tu ( vous) ne peux ( pouvez) pas savoir à quel point cela me fait plaisir, c'est notre récompense à nous les conteurs, écrivains du milieu de la chasse et plus généralement de notre ruralité, de nous savoir appréciés. Parce que sortis de là, on nous fait comprendre que " la chasse" ce n'est plus "vendeur", qu'on est " out", " en dehors", des sortes de " mammouths" préhistoriques, je ne te dis pas la galère pour arriver à se faire publier un roman parce que la toile de fonds c'est la chasse, et ça, ça ne leur plait pas, mais alors pas du tout !
Et bien en ce qui me concerne, comme il le disait si bien, je persiste et je signe !!!!
a+
jp

Bon sang ! J'ai apprécié aussi ce retour en arriere ..

Merci Jean-Paul

De bons moments de vie que tu as partagé et partage avec ton Oncle.

Joli récit mets en d autres

pardigaou13 a écrit:Joli récit mets en d autres

Ou attends le printemps et achète le livre ...

Vivement le livre.

Le livre est terminé, on en est juste à bricoler les virgules avec l'éditeur, page de couverture, 4 ieme de couverture... etc, ça avance vite maintenant, je vous tiendrez au courant dès la sortie.
Merci à vous !
a+
jp

Pas de soucis pour acheter le livre j en ai quelques uns de ROBERT DEL PIA , les provençaux doivent en avoir entendu parler.

superbe tranche de vie qui nous replonge dans les années d'enfance !

j ai deux del pia signé par l auteur a l epoque a l isle sur sorgue,journée chasse et peche

Merci pour cette belle histoire. De nos jours, comme dit mon ami « Loulou »,il y a plus de fusils que de perdrix. La chasse est devenue un « business »pour certains. Tout s’achète et tout se vend. Si comme toi , le chasseur moderne connaissait ce qu’il faut de temps pour fabriquer ses cartouches « écolos » (puisque tous les composants sont biodégradables),il respecterait beaucoup plus la nature et le gibier. Je deviens fou lorsque passe une grive et qu’ elle esquive trois coups de calibre 12 chargé avec 36 grammes de plomb chacun. J’aimerais que revienne le temps béni ou l’on fabriquait ses munitions,le temps ou ,comme Monsieur Robert,on ne doublait pas le coup de 16 sur le même perdreau, en ajoutant je cite : « J’ai ma chance ,il a la sienne ». Essayer de faire comprendre cette façon de chasser aujourd’hui alors même que le gibier se raréfie, on vous prend pour un fou.

Tu as bien raison ! ... et c'est un peu pour cette raison que j'ai toujours regardé un peu de travers un porteur d'automatique, mais j'ai aussi appris qu'il en ait de " bons chasseurs"qui l'utilise.
Un 2 coups, en principe c'est fait pour choisir en fonction de la distance et du numéro de plombs dans chaque tube, le mieux adapté au tir à effectuer, ce n'est pas fait pour systématiquement doubler. Perso, dans ma saison de chasse, je dois doubler... de temps en temps, mais pas souvent, vraiment si j'ai fait un raté d'enfer au premier et que l'oiseau est toujours bien tirable, c'est à dire à bonne portée... sinon , je le regarde partir, et peut-être à la prochaine fois.
Il y a aussi le tir du second coup si l'oiseau est manifestement blessé, et là je ne regarde pas s'il est encore bien tirable, j'envoie ...car tous moyen est bon pour le retrouver

C’est vrai aussi. Dis moi où l’on peut se procurer ton livre ? Tes histoires sont tellement belles que j’en ai les larmes aux yeux.

on est quelque un a faire nos cartouches sur ce site en ce qui me concerne je fait mes cartouches pratiquement a 100 pour 100 et uniquement des douilles carton ,et tres peu en plastique c est un plaisir immense:spff: :ou on peut trouver ton livre