Le canard sacré de la Jonte

Ce soir là, mes enfants ma femme et moi étions attablés, la soupe fumait dans nos assiettes, dehors, il faisait une magnifique soirée. Nous entendions au loin les « esquilles » (sonnailles en occitan) des brebis de Pierrot, mon cousin, il tardait afin que les brebis « profitent » au maximum des parcours d'automne des landes naturelles caussenardes, l'hiver ne devait pas tarder.
Soudain, on tapa vite et fort à la porte, j'ouvris précipitamment, je découvris Pierrot, essoufflé : « Vite, va prendre ton fusil, viiiiite, dépêche toi !!!! Fit il.
Tout en courant attraper mon fusil je lui demanda, « faut du plomb ou des balles ? »
« C'est un canard, du plomb ! Viiiiite ! » me répondit il, en ajoutant
«  je vais t'expliquer à la couss  (en courant), après... » 
Tout en attrapant une poignée de cartouches je pensais « un canard, sur le Causse, c'est du jamais vu, il y n'a pas d'eau sur le Causse ! »
Je fis une rapide bise de la main aux enfants pour les rassurer et partis derrière Pierrot.
Tout en courant Pierrot m'expliqua « J'étais en train de garder les fédes....... (brebis en occitan) quand soudain un canard est descendu en planant du village....Il nous a survolé....et c'est posé en bas...à ras des chênes....Aujourd'hui, Jacky, devait tuer une bande de canard....il a du leur échapper....Il faut le faire de suite, sinon, si il plonge plus bas...... dans les gorges de la Jonte, il est foutu,..... il fera le régal de quelques sauvagines.....Qu'aquo manque pa ! » (Que ça manque pas!)
Sur ce, nous contournons le troupeau de brebis, puis nous fîmes une « bire » «(un arc de cercle, mouvement typique du chien de berger) pour prendre ce canard par le dessous.
Tendant son bras, Pierrot me dit « Il s'est posé par là, tu vois cette rase de buis à ras des chênes ? Descend encore tout doucement, et remonte vers lui, moi je reste ici au cas ou il remonte... »
Lorsque je fus assez bas, je chargea mon fusil, dans la poignée de cartouches pris en vitesse, je choisis en premier un six en dispersante, pensant que ce canard de ferme ne devait pas être trop « false » (apeuré, sur le qui vive).
Effectivement, soudain j’aperçus un point blanc sous la rase, je m'approcha doucement, 100 mètres nous séparaient, puis 80, puis 60, puis 40, « c'est bon ! » pensais je, « peut être ne faudra t il même pas tirer.. »...30 mètres...soudain, flopflopflop, ce canard pris son envol, je le pris bien devant, PAN ! Il bascula aussi sec dans les chênes.
Etant juste des-ailé, j 'eu vite fait de l’attraper en le tenant fermement d'une main à la base des ailes, un mauvais souvenir de m'être fait labourer les avant bras avec ce fameux crochet de canard sous l'aile me faisait tenir sur mes gardes. J’hésitai à lui tordre le cou pour le finir, mais ma foi, il était fort calme, et ne semblait n'avoir qu'un plomb à l'articulation du milieu de l'aile.
Tout content de notre Bonne Action, Pierrot rassembla son troupeau pour rentrer à la « Jasse » (bergerie), et moi j'entrepris donc de ramener ce volatil à son propriétaire.
J'étais d'autant plus heureux de ramener l'évadé à son geôlier, que j'ai le plus grande tendresse pour Jacky, notre président de société de chasse, c'est un homme simple et bon : La nature, ses fédes, ses chiens, la chasse, et le bon air de nos montagnes, voici les choses essentielles qui suffisent à son bonheur, et puis c'est un personnage à la Pagnol, il est fait comme Raimu, grand et costaud, mais de sa bouche ce n'est que poésie et occitan chantant. Malheureusement, marié sur le tard avec Martine, il n'avaient pas eus d'enfants, le trop plein d'amour non distribué ne se perdait point, non... Les chiens étaient gras comme des taupes, et la maison était une ménagerie en tout genre, ou chaque espèce avait droit de citer. Tout animal perdu ou amené avait droit au fameux « Peuchère... » de Martine, qui signifiait plus sûrement qu'un jugement d'adoption, soins et amour prodigués dans un foyer chaleureux.
Arrivé à la "jasse" de Jacky, personne, pas de lumière, « Il doit être en train de diner » pensais je. Effectivement, en montant à sa maison, je vis la lumière de la cuisine, arrivé au portail je n’eus pas la peine de sonner, les chiens Chow-Chow de Martine faisaient office...La lumière de la terrasse s'alluma, Martine s'avança, ne pouvant me faire entendre du fait des aboiements furieux je leva fièrement le dit volatil !
Soudain un cri terrifiant déchira la nuit « Pomponnette !!!!! » s'écria Martine « Pomponnette, c'est toi ? » elle dévala les escaliers, arrivée au portail elle pris délicatement ce qui s'avéra être une cane, sa cane !!! Elle lui caressa la tête, la couvrit de bisous...puis tira sur le devant de son pull, et fourra Pomponnette contre son ventre, de sorte que juste la tête de Pomponnette sortait du pull, entre ses seins (qu'elle avait fort généreux!!!). Elle me raconta les circonstances :
«Je me faisais un sang d'encre, je la croyais perdu, on a tué la bande de canard tout à l'heure, pis le dernier, ben, tu me connais, PEUCHERE ! Il m'a fait pitié, alors on l'a pas tué, on l'a mis avec Pomponnette, la pauvre elle commence a être vieille, on s'est dit que ça lui ferait de la compagnie, mais ce coquin, ce doit être le stress, il n'a fait que de l’embêter, il y montait dessus, peuchère, elle en a eu marre et Pffffouf elle s'est envolée... »
Plus ça allez, plus je sentais mes jambes toutes bizarres, rarement je me trouva aussi « mouquet' » (embété) avec mon fusil et mon air bête ! J’attendais la question fatidique...qui arriva :
« Et comment qu' t'as fait pour me la ramener ?
« Tu vois pas qu'il a un fusil ! «  tonna Jacky derrière elle, « Il lui a foutu un  pet ' pardi ! »
Malgré la soirée fraîche, mon front fut subitement chaud et mouillé, je crus bon d'ajouter en bredouillant, joignant le geste à la parole « oui, mais c'est du tout petit plomb....Pour les bébés oiseaux...» « Quel con ! » pensais je de moi, c'est une réplique de Don Camillo, mais c'est la seule chose qui me soit venue à l'esprit...
Sur ce Martine, retira doucement Pomponnette de son nid douillet, nous l'examinâmes sous toutes les coutures, je priais tous les dieux du ciel et de la terre que nous ne trouvions pas de ce rouge caractéristique dans le plumage, mais non, juste ce plomb à l'articulation du milieu de l'aile...ouf !
« On te fera passer un Roquefort pour te remercier ! » Déclara Martine, ce à quoi je refusa avec la dernière énergie...la chance de ne pas lui avoir ramené Pomponnette à moitié broyée par un « pet' »
de six à bourre à jupe me convenait déjà parfaitement !!!!
Ce soir là, je ne pus m'empêcher de passer chez François, mon vieux collègue, pour lui raconter. Nous fumes pris d'un fou rire mémorable, lui mimant Pomponnette entre ses seins, et moi, tenant haut et fièrement un canard tout déchiqueté.
Par la suite j'appris que Pomponnette mourra bien plus tard de sa belle mort et repose respectueusement dans le petit cimetière en bordure du jardin de Jacky.
Remarquez, elle est bien là, elle à une belle vue, face aux gorges de la Jonte...

mdr trop belle histoire

Merci du partage, belle histoire en effet

Magnifique histoire. Pomponnette a eu chaud et toi aussi.....Allez donc rendre service.....

Effectivement, de ce jour je me suis fait une promesse...ne plus jamais rendre service....avec mon fusil bien évidemment !!!
Je sais, d'aucuns diront tout de même qu'il est encore d'usage et de bon aloi de rendre service avec un tout autre canon, surtout auprès de la gente féminine...
Qu'ils se rassurent, en montagne nous avons coutume de dire que ce n'est pas parce-que la toiture blanchie que la cheminée ne tire plus !!!!
Au passage, une mention spéciale personnelle pour bluy45, c'est en lisant ses fameuses histoires en compagnie de ma femme, que l'idée m'est venue d'essayer humblement d'en raconter quelques unes, donc merci à toi bluy45 ! Nous regardons régulièrement et avidement si de nouvelles histoires apparaissent....suspense !

J'adore

Une très belle histoire, superbement narrée ! La morale : On ne tire pas sur un canard domestique avec une bourre à jupe

Merci de ces retours, et excellente morale tirée de cette histoire par AFONDDEBALLE

AFONDEBALLE36 a écrit:Une très belle histoire, superbement narrée ! La morale : On ne tire pas sur un canard domestique avec une bourre à jupe

Oui t'as raison: "On ne tire pas la bourre avec un canard domestique en jupe"

hihihihi, à plus forte raison si en plus c'est une cane..