Le mystérieux inconnu

J’ai la désagréable impression que la moyenne d’âge des chasseurs est en train d’augmenter. On dirait que de moins en moins de jeunes s’intéressent à cette activité. Dans nos chasses Berrichonnes, les grands-pères sont légion. Il est donc inévitable, régulièrement, de perdre un actionnaire ; Soit à cause de conditions de santé qui ne lui permettent plus de pratiquer cette activité, soit qu’il soit directement aller solliciter une action dans les chasses éternelles au côté de Saint-Hubert.
    Il y a deux ans, la bande de copains que nous sommes a ainsi eu le regret de voir ses effectifs amputés de deux de ses membres : Victime d’Alzheimer,  à 77ans, l’un avait tout oublié…. Même qu’il était chasseur;  Et sans aucun signe prémonitoire, un AVC avait emporté L’autre à 74 ans, un mois avant l’ouverture…….Deux figures irremplaçables, qu’il allait cependant bien falloir se résoudre à remplacer : D’une part, pour avoir un groupe à peu près cohérent avec le nombre de poste à occuper lors des battues et d’autre part, pour maintenir le prix de nos actions à une valeur raisonnables.
    Pour l’une des actions ce ne  fût qu’une formalité. Un invité régulier de longue date, qui connaissait bien notre groupe, que tout le monde appréciait, avait répondu positivement à notre proposition.
   Pour l’autre, une personne, qui nous avait été recommandé par une vague connaissance d’un copain  d’un membre du groupe, autrement dit un individu dont personne ne savait rien, avait fait acte de candidature. Difficile de courir le risque d’accepter un postulant qui pouvait très bien ne pas s’intégrer et  foutre le bordel dans notre équipe d’amis…. Pris par le temps notre président (Robert…déjà lui) accepta cependant cet inconnu. Et c’est ainsi que Pascal arriva parmi nous….
     Dès le début, les avis sur sa personne furent mitigés. Tout le monde avait d’emblée  compris que ses moyens financiers étaient de loin,  plus conséquents que ceux de chacun de nous. Mais vu qu’il n’en faisait pas vraiment l’étalage, personne n’avait éprouvé le besoin de  s’en plaindre. Certes, Il y avait son superbe express juxtaposé Chapuis plein de gravures, ses vêtements de marque….Mais en contrepartie, il y avait aussi ses bouteilles de grands vins qu’il partageait généreusement lors de repas. Ce qui fait que tout l’un dans l’autre, étaler sa fortune de cette manière, ne gênait vraiment personne.
     Le bonhomme devait avoir la soixantaine bien pesée. Grand costaud, d’un naturel réservé, parlant peu, toujours très poli, très correct…..Discipliné à la chasse. Jamais il n’aurait contesté une consigne.
      Ce qui pourtant, surprenait tout le monde, c’était l’aversion évidente qu’il avait à utiliser son arme. Soit qu’il n’ait pas vu, soit qu’il n’ait pas bien identifié l’animal, soit même qu’il ait négligé de charger ;  Il y avait toujours un prétexte pour ne pas tirer. Tant et si bien, qu’à la fin de la saison, le bel express n’avait pas donné un seul coup de gueule ; Et ceci, malgré la veine insolente de son propriétaire. Il suffisait, en effet que Pascal soit posté quelque part, même à un poste minable ou d’ordinaire, rien ne passe, pour que le gibier arrive systématiquement à lui.
        Comme disait Robert : - J’ préfère quand même ça qu’un excité qui tire tout, n’importe comment et dans tous les sens…… On pouvait effectivement voir les choses de cette manière, mais on était aussi en droit de se demander aussi pourquoi il venait à la chasse.
 Je m’étais un jour risqué à lui poser discrètement la question sur le chemin du rendez-vous, au retour, après la fin de traque. La réponse avait été très sobre :
-  J’aime bien cette petite chasse, vous êtes une bonne équipe de copains, c’est sympa, je me sens bien avec vous. Voilà ! C’est ce qui m’importe avant tout…..
    Je n’avais pas osé lui rappeler qu’accessoirement, tous autant que nous étions, nous étions là aussi un peu pour chasser………
    …………… L’an passé, la saison débuta pour Pascal de la même manière que l’autre s’était terminée. Il était bien présent mais toujours aussi avare de ses coups de feux. Il n’avait également que faire, des remarques railleuses qui commençaient à fuser à son encontre. Certains étaient même persuadés que cette attitude devait cacher une grande maladresse. Si Pascal ne tirait pas c’était probablement par crainte du ridicule.
       A côté de cela il était bien accepté. Jeannot, viticulteur amateur, échangeait avec lui ses avis sur les vins. Pascal était sans aucun doute, un connaisseur et Jeannot s’évertuait à employer des mots savants avec des mimiques de maître sommelier,  claquant du bec pendant qu’il dégustait les grands crus de Pascal; Tout  en fumant son infecte bouffarde qui de toute façon lui aurait permis d’avaler n’importe quoi sans même en sentir le goût. Il osait même parfois comparer des grands châteaux du Bordelais ou les plus prestigieux Bourgognes, avec l’infâme piquette qu’il récoltait dans sa vigne et avec laquelle il cherchait à éblouir Pascal. Celui-ci, poliment, vidait son verre jusqu’à la dernière goutte, sans grimacer. Ce qui, en soit, constitue déjà un exploit ! Mais il trouvait toujours un prétexte poli, c’est compréhensible, pour éviter la deuxième tournée sans vexer Jeannot…... Il acceptait aussi volontiers de s’asseoir  pour taper le carton avec les amateurs de belotte…. Tout ceci pour dire qu’il s’intégrait parfaitement. A un détail près, c’est que sa grande discrétion nous privait de savoir quoique ce soit sur lui. Ses activités? Son métier? Sa vie en générale ? Mystères….. !
    Un beau matin Pascal arriva à la chasse en taxi. Nous étions à la mi-décembre et il n’avait toujours pas grillé une seule munition. Mais ce jour-là, un évènement d’importance vint perturber la tranquillité de notre petite chasse.
    Nos traqueurs Daniel et son fils Alex, lors de la première traque du matin levèrent un gros solitaire qui, après coup, pris le ferme dans un roncier très épais et commença à en découdre avec les fox. Alex se précipita sur le ferme dans les ronces pour limiter la casse, au risque de se faire bousculer lui aussi. Mais le goret  décala avant qu’il ne puisse le piquer. Prenant le travers de la chasse, il sortit à l’endroit le plus improbable…..Là ou Pascal était posté. Celui-ci, malgré les annonces, arme à l’épaule, mains à la braguette, était en train de satisfaire un besoin naturel et se contenta de regarder l’intrus passer à côté de lui, en continuant de se vider la vessie, Il n’esquissa même pas un  geste pour  se saisir de son arme.
     Cette fois la coupe était pleine. Daniel dont les chiens, avaient vaillamment  affronté le sanglier, deux d’entre eux en portaient même de sévères séquelles, était furieux de cette réaction. Arrivé au rendez-vous, le coup de gueule était inévitable.
- N..de D… Mais qu’est-ce qu’y vient foutre ici c’t’énergumène ?   Si y veut pas chasser y a personne qui l’oblige !
Notre président essaya de calmer un peu le jeu
- C’est pas bien grave…On va pas quand même pas s’engueuler pour ça…..
- Tien don ! Ben alors, explique moi un peu à quoi que ça sert, que nous, on s’esquinte à vous pousser du gibier, si les postés y’s’ont pas envie de tirer ?.....Ce matin, nos chiens, y s’ont reçu….Alex, il a failli se faire secouer. Et lui, ce c.., il attend le cochon avec sa b… à la main…. N…de D… ! J’ crois ben quand même  qu’on se fout de not’e gueule!
     La révolte grondait et Robert compris qu’il devait intervenir. Il prit Pascal à part et à l’issue d’une brève discussion ils parurent tomber d’accord. J’entendis juste à  la fin Pascal dire :
- Comme vous voudrez….
    Lors de la traque de l’après-midi Robert s’arrangea pour que Pascal soit placé au poste voisin du sien et comme une fatalité, à peine la traque était-elle commencée qu’un magnifique brocard quitta l’enceinte chassée, entre les deux compères, en bondissant à travers une large pâture. Robert le mis en joue mais, vu les bonds il eut du mal à ajuster son tir. Son coup de carabine passa entre les pattes du fuyard…. Et là ! Pour la première fois, Pascal leva très calmement son arme…. Le coup de feu surpris même tous les témoins de la scène……le résultat aussi…. Le chevreuil venait d’être foudroyé en pleine course.
     Un long moment plus tard, juste avant  la fin de traque, alors que plus personne n’y croyait vraiment, les chiens se mirent tout à  coup à taper de la gueule dans l’épais et instantanément  une grosse laie et six bêtes de compagnie, vidèrent l’enceinte. Pascal, pour la deuxième fois ce même jour, épaula son express. A la surprise générale il s’octroya le doublé dans la suite et pour achever de mettre son public sur le c.., il eut même le temps de recharger pour sécher un gros mâle attardé qui prenait le même chemin que le reste de la troupe…..
   Plus personne ne savait trop quoi dire……Le retour au rendez-vous fut silencieux ce soir-là. Juste Pascal vint me dire quelques mots, comme si rien ne s’était passé :
- Bernard ! Tu ne me compteras pas au partage ce soir ! Je ne pourrai pas prendre de viande. Je ne rentre pas chez moi ! Ma femme passe me prendre et nous avons ensuite une longue route à faire. Nous allons passer la semaine à la montagne.
Je ne le savais pas mais je n’étais pas encore au bout de mes surprises.
    Plus tard, sous le hangar, le dépeçage venait de se terminer, J’étais resté seul à nettoyer les outils.    C’est alors qu’une grosse berline Allemande s’arrêta dans la cour du rendez-vous. En descendit une magnifique créature, la trentaine à peine, un visage d’ange, très court vêtue, de grands cheveux très brun,  de longues jambes fines. Elle se dirigea vers moi. Et là, alors que je croyais avoir à faire à une bourgeoise égarée qui venait me demander sa route, j’entendis une voie d’une douceur extrême :
- Bonjour Monsieur ! Je viens chercher mon mari. C’est bien ici que chasse Pascal G……. ?
    Je ne me souviens plus de ce que j’ai bafouillé, mais ça devait ressembler à cela :
- Euh…..Oui !... Oui !...Attendez ! Je l’appelle.
   Inutile ! Pascal depuis la fenêtre, avait vu lui aussi, la voiture arriver. Il avait déjà ramassé ses effets, salué l’assemblée et arrivait au-devant de nous. Le temps de charger ses affaires dans le coffre et de déposer un baiser sur les lèvres de sa belle, ils prirent place dans la voiture et démarrèrent. En un clin d’œil les feux de leur véhicule disparurent au bout du chemin.
    J’étais encore sous le charme en entrant au rendez-vous. Robert était en train de commenter devant l’assemblée:
- Ben vous voyez les gars. Nous v’la fixé sur ses qualités de tireur… Qui c’est, qui disait qu’il était maladroit, le Pascal ? Même que c’t’après-midi, quand j’ai vu l’brocard bouler à c’te distance, j’me suis ben demandé : « Comment qu’il a fait pour tirer ça ? »
    Pour ne pas être vulgaire je n’ai pas exprimé ma pensée, car moi, c’est en voyant la belle brunette, que je m’étais posé cette question….
L’air un peu évaporé j’ai répliqué :
J’ te comprends Robert…… Un sacré tireur !    
   Mais personne n’a du comprendre le vrai sens  mes paroles………Normal ! Ils n’avaient pas vu la belle apparition, eux !  
Après tout, il faut bien qu’il y ait une explication à la chance de Pascal …….. Alors je me dis qu’avoir une femme aussi belle et la laisser seule pour aller à la chasse………..
   Après cette histoire  Pascal est resté un bon moment sans revenir à la chasse. Les plus pessimistes disaient qu’on ne le reverrait pas cette année…..Il chasse encore avec nous et il est toujours aussi avare de ses coups de feu. Nous l’avons accepté comme cela…..Quoi qu’il décide, Il a maintenant droit à une paix royale

merci bluy45...j'adore te lire !

Belle histoire et superbement racontée ! Pour une fois, ce n'est pas du tableau que j'aurai aimé pouvoir contempler la photo, mais.....de la belle...

super histoire

Vraiment superbe cette histoire Bluy45 !!

Merci de nous l'avoir contée

Toutes ces histoires si bien racontées, ça me rappelle celles que je lisais gamin dans le Chasseur Français...elles étaient plus courtes, pagination oblige, mais il y avait cette poésie, cette façon de raconter que je retrouve dans les tiennes...un vrai plaisir !

Merci pour cette excellente histoire !

Encore une bien belle histoire. Et du coup, vous ne savez toujours pas pourquoi le fameux Pascal ne veut pas tirer (je parle de coups de fusils ) ?

Je n'avais pas encore pris le temps de te lire @bluy45 ... J'ai adoré !

belle histoire bien racontée

Histoire bien sympa, et très bien racontée 

belle histoire et toujours retransmise ave talent.

AFONDEBALLE36 a écrit:Encore une bien belle histoire. Et du coup, vous ne savez toujours pas pourquoi le fameux Pascal ne veut pas tirer (je parle de coups de fusils ) ?

A la longue, j'ai cru comprendre que c'est un gars qui avait beaucoup chassé, en beaucoup d'endroit et tué beaucoup de gibier.
Maintenant, l'observation, le milieu, l'ambiance, l'intéressent plus que le tir. Depuis cette histoire on a vu Pascal tirer un autre fois pour achever un cerf blessé. Et une autre encore sur un très gros sanglier qui avait auparavant agressé violament les chiens
Par contre nous en avons appris un peu plus sur la belle. Cette diane n'aime pas chasser le gros gibier mais il semblerait qu'en Touraine, la ou elle pratique avec son calibre 20 et sa chienne setter, les perdreaux ne soient pas fiers en sa présence. Elle est même réputée pour avoir un coup de fusil dévastateur. Tous les macho locaux lui accordent même le plus grand respect.

Eh oui, avec l'âge il arrive que l'on ait pas ou plus envie de tirer... alors on trouve un prétexte quand on est en battue, on rate l'inratable alors qu'avant les cochons étaient morts de peur et se faisaient pipi dessus avant même le tir quand ils avaient compris que le crac est juste en face, c'est un autre jour le point rouge qui est déréglé, puis la cartouche coincée, puis...puis..., ensuite on passe à confesse car les copains ne sont pas dupes. Et puis c'est une situation intolérable pour celui qui le vit car on aime la chasse avec les copains pour tout ce qu'il y a à coté et " tromper" les collègues c'est pas sain, les rabatteurs se décarcassent pour rien ...etc. Donc, soit tu en guéris et ça repart, en tout cas tu tires quand même de temps en temps- solution de compromis-, soit tu deviens celui qui fait le ménage et la popotte au cabanon (et qui au lieu de chasser fait les agrainages en semaine) en attendant le retour des copains et tu profites des à cotés, soit tu arrêtes tout et tu deviens écolo...
Quand cela arrive- comme une maladie on y peut rien- ce n'est pas drôle.
Je pense que le sujet en soi vaut un topic ( c'est comme ça qu'on dit ?)

Merci pour cette belle histoire

Très jolie histoire ,merci

Émouvante...

merci pour cette belle histoire qui d'après ce que je comprends est véridique.