Voilà! Raymond...C'est mon copain

Mar 26 Jan 2016 - 21:00

Il se languissait Raymond en attendant que le garde Leduc, son beau-frère, lui transmette l’invitation au domaine du « Raillet ». C’est un beau territoire Le «Raillet » et tous les ans il y est invité une ou deux fois, grâce à une petite parcelle de bois qu’il tient de son père : Deux hectares et demi enclavés dans cette belle propriété. Il ne fait jamais d’histoire quand ceux du « Raillet » chassent chez lui alors en contrepartie on l’invite…..Pas qu’il aime particulièrement l’ambiance de ces chasses de riches, mais chaque battue ici, le replonge dans ses souvenirs de jeunesse.

Leduc, c’est le garde particulier du domaine, depuis le début de la chasse privée. Un bon gars ! En plus il n’a pas son pareil pour faire le pied et rembucher les sangliers, alors quand Mond avait appris qu’il allait marier sa sœur: la Fannie, il avait vu cela plutôt d’un bon œil. Ça compte, chez nous, un bon chasseur dans la famille.

En arrivant ce matin, il avait pris soin de garer son C15 sous le hangar à côté des voitures des gardes. Son vieux Citroën aurait fait pâle figure dans la cour à côté des Mercedes et autres BMW ou des gros 4x4 des actionnaires. Ces gens- là, ils ont les moyens ! Déjà vu le prix des actions…C’est comme pour le repas, 25€. A ce prix-là, Mond ne mangera pas avec eux ce midi. Il préfère se faire inviter chez Leduc. Il avait déposé une bonne bouteille sur la table de la cuisine ce matin en arrivant, pour accompagner la poule au pot cuisinée par sa sœur. C’est qu’elle est bonne cuisinière la Fannie! D’ailleurs Leduc, il commence à en avoir des séquelles. Si ça continue il ne pourra bientôt plus boucler sa cartouchière, celui-là.

Le « Raillet » c’est quatre cent cinquante hectares dont deux cent cinquante de bonnes terres de culture, plus une centaine en pâtures le long de la rivière et le reste en bois. Il y a aussi un étang de six hectares, très poissonneux. Il y était valet, Mond, quand il était jeune et depuis, il s’y était toujours senti un peu chez lui… A l’époque on y comptait plus de soixante-dix vaches laitières et au moins cent cinquante chèvres. Puis, Il y a vingt-cinq ans environ, quand les fermiers se sont retirés en fin de bail, le domaine n’a pas été repris. Les Normes sanitaires européennes, les quotas laitiers, les travaux à effectuer sur les installations de traite et les stabulations…Tout cela avait découragé les plus ambitieux. Les parcelles de terres et la chasse avaient ensuite été louées séparément et les bâtiments inoccupés pendant quelque temps, servaient maintenant à stocker du matériel agricole sauf les deux longères des gardes et la maison d’habitation transformée depuis en rendez-vous de chasse.

Les gardes s’en vont maintenant placer les postés. Mais Mond, ils le laissent aller seul. Pas besoin de guide ! Il y a toujours cette place libre à l’orée du bois-Cantou, au bord de la rivière ! Un bon passage pourtant. Un gros boyard (tronc d’arbre mort) de chêne, que lui-même avait coupé dans le temps, lui servira de siège et de là il aura une vue parfaite sur les pacages (pâtures) et sur la grande terre : Un grand chaume de maïs cette année.

Marchant d’un pas tranquille, il se remémore ses exploits d’antan. Quand on pouvait y aller chasser comme on voulait au « Raillet ». Tout le monde s’en foutait à cette époque, il n’y avait rien privé et en plus les bouchures (haies) grouillaient de lapins. Même après la myxomatose, avec un chien qui savait les asticoter, c’était courant d’en faire une douzaine dans la matinée. Après quand la chasse a été louée, c’était interdit mais il continuait quand même, de temps en temps, sous prétexte d’aller sur sa parcelle, à déborder très largement. Leduc en prévision du WE lâchait gros de faisan et des canards sur l’étang. Le dimanche ça pétaradait fichtrement mais il restait toujours des rescapés. Alors en début de semaine quand il n’y avait plus personne….
Il y allait aussi chaque année, avant les fêtes pour colleter deux ou trois chevreuils histoire d’assurer une gigue à chaque réveillon pour la famille et de revendre le reste pour faire les cadeaux des gamins. Il n’y avait pas grand risque avec Leduc ! Les embrouilles finissaient toujours par s’arranger avec quelques tournées d’apéro. Cependant il y a environ dix ans un deuxième garde avait été embauché : Bordat, un jeune et celui-là, il prenait son boulot très au sérieux. Avec lui ça avait été une toute autre histoire. La première fois qu’il avait trouvé un chevreuil pris au collet, Bordat, il était allé se plaindre à la fédé et les casquettes vertes avaient planqué pour surveiller le coin pendant plusieurs jours. Heureusement que Leduc l’avait prévenu à temps sinon il aurait été fait comme un rat le Mond. Suite à cette aventure il avait arrêté définitivement ses incursions sur le « Raillet ». De toute façon maintenant les gamins étaient grands, ils avaient quitté la maison et vu l’explosion des populations, la viande de chevreuil, on pouvait se la procurer légalement et à pas cher, ça n’était quasiment plus rentable d’en vendre comme ça, sous le manteau. Alors à quoi bon prendre des risques ?

Ça y est ! Il est arrivé à son poste, le boyard est toujours là. L’écorce est pourrie et humide. Il dépose son ciré sur le tronc avant de s’assoir. Ainsi installé, il glisse deux brennekes dans son robust et l’attente commence.
Son vieux robust, c’est un peu comme son C15, il ose à peine le montrer à côté des express et autres carabines de grandes marques. Pourtant, il en a tué du gibier, ce fusil, il n’y a vraiment pas de raison d’en avoir honte.
- C’est tous ces flambeurs avec ceux calibres ahurissants…. Tiens ! Le notaire avec sa Tikka, comme il dit….. Du 300 WSM…... La puissance de feu d’un char d’assaut. Avec ça, si tu tapes un chevreuil ou un petit sanglier ça t’le mince (abime) tellement qui reste rin d’ récupérabe. Bon, c’est vrai aussi qu’avec le notaire, ça mince pas grand-chose, ça fait surtout beaucoup de bruit…. Mais avec une arme comme ça on pourrait même tuer des gibiers d’Afrique, y parait : Des Buffles, p’t’ être ben même des éléphants . Remarquez, Il s’en fout un peu Mond ! Des buffles et des éléphants, dans le Berry, il n’en rencontre jamais…
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A sa droite sur le chaume une forme svelte est sortie du couvert en trottinant. Une belle chevrette et à bonne portée.
- Ils ont dit aux consignes, qu’on pouvait les tirer, les chevreuils. Mais ça va faire un boucan d’enfer et ce serait des coups à me faire refuser les cochons s’il y en a.
Intrigué l’animal s’arrête à une trentaine de mètres et observe en direction de Mond…
- C’est y qu’a veut ma photo celle-là ? La chevrette ne bouge toujours pas
- Faudrait voir à pas t’arreuiller (regarder fixement) comme ça trop longtemps. Quand même !
Une autre forme plus petite sort alors du couvert en sautillant et rejoint la chevrette. Les deux s’éloignent tranquillement
Il soupire.
- Ben toi, mon pauv’ biquion (normalement un chevreau mais employé par déformation pour un chevrillard) un peu de pu et t’aurais été orphelin……

Après quelques minutes, Mond réalise qu’il n’a pas respecté les consignes sur l’angle de tir….Deux piquettes en plastique orange fluo qu’on lui a données ce matin....Il n’est même pas sûr d’avoir tout bien compris.
- Cinq pas en direction de mon voisin de droite qu’ils ont dit. Déjà j’le vois pas mon voisin……Puis trois pas vers l’extérieur
-Cinq pas en direction de mon voisin de gauche. Lui j’le vois Là-bas, mais vain dieu ! Cinq pas ça va m’emmener dans la rivière….Il abandonne.
- Tu parles des âneries ! Comme si on n’était pas assez grand pour savoir ou qu’on peut tirer et ou qu’on peut pas.
- Dommage ! Elles sont belles ces p’tite piquettes ! Si on m’les réclame pas, ce soir, j’va les ramener à Linette (Aline, sa femme), Ca f’ra des tuteurs pour ses pots de fleurs.

Il sursaute
- Houlà…….! Là c’est lancé, et pas ben loin encore. Ça s’amène tout dret (tout droit) par-là!... Non de dieu ! Ce raffut, ça doit pas être un p’tit çui-là !
Une grande silhouette se profile en sous-bois et à la surprise de Mond, ça n’est pas un sanglier, mais un grand cerf qui bondit par-dessus la rivière à moins de vingt mètres de lui. Instinctivement il épaule, puis se ravise :
- Moins de dix, qu’ils ont dit ce matin ! Çui là, il en a beaucoup trop sur la tête.
En pestant il rabaisse le robust
- Dommage ! Il était ben à ma main c’t’énergumène.
Il regarde le grand cerf s’éloigner avec trois chiens qui lui filent le train.
- Ca devin compliqué la chasse maintenant avec leur « C quelque chose ». Ya intérêt à savoir compter, et vite.
Après les coups de corne pour le rappel des chiens, c’est à nouveau le calme ; Ces longues périodes en battues ou rien ne se passe……A la longue, l’attente ça creuse, il commence à avoir une petite faim. Sa montre indique onze heures et demie…. Il imagine la poule au pot de Fannie.

Au loin, soudain c’est la pétarade ça tire à tout va….Il compte :
- Un, deux, trois………… Jusqu’à quatorze coups de carabine au total.
- Ça doit venir de la taille des Boiteaux. Ce matin Bordat, il l’avait annoncé qu’y’avait des pieds rentrant là-bas.
- Tiens ! En parlant de Bordat, J’crois ben qu’c’est lui qu’j’entends houspiller ses chiens. Ses jads, y z’ont l’air d’accrocher dur dans l’carré d’épine…..

En effet quelques secondes plus tard, quatre coups de trompe et la voix nasillarde de Bordat :
- Attention ! Cochons à la rivière…..Mond est prêt. Effectivement il entend patauger à sa gauche et il voit deux bêtes noires reprendre pied sur l’autre rive.
- Ah M…. Ça va pas traverser les pacages…. Ça remonte le long d’la rivière…Et l’autre là-bas avec sa casquette orange qu’est dans mon champ de tir….. Désespéré et impuissant il marronne (ronchonne) salement.

Soudain à sa droite un grognement caractéristique attire son attention
- Ah ben lui alors….Comme sur un plateau.
A une trentaine de mètres de lui, en effet, un beau ragot cherche à s’enfuir en douce par les champs pendant que les jads sont aux trousses de ses deux copains…. Le claquement du coup de feu raisonne dans tout le val…
- Aille don……Dans les cerceaux ( les côtes)…. Il sait déjà ou il a placé sa balle. Il n’aura pas besoin de la deuxième. D’ailleurs il rabaisse son arme.
Le sanglier a piqué du nez dans la terre et tente vainement de se remettre sur pieds mais au lieu de cela il retombe lourdement sur le côté……
Déjà Mond a saisi sa trompe…Quatre coups puis le taïaut.
En rechargeant, il pronostique
- Quatre-vingt-cinq ou quatre-vingt-dix. J’dois pas en être ben loin…
- Le pire c’est qui va falloir s’le débarder. D’ici à la route y a au moins cinq cent mètres. Avec c’te terre qui colle aux bottes et ma sciatique…. A moins que Leduc, y vienne le chercher avec le tracteur.

Cinq minutes plus tard la longue silhouette Bordat s’extrait des fourrés du Bois-Cantou juste à côté de lui. Il rajuste sa belle casquette de Garde et sonne la fin de traque.

Mond décharge, range ses balles et sa trompe dans sa musette. Bordat pendant ce temps s’attarde à contempler le sanglier mort. Il commente :
- Un beau mâle, dis-don….Pas ben armé mais ben râblé !
Mond s’approche, ouvre son opinel et après avoir fait basculer l’animal sur le dos, il saisit le pénis à pleine main et prélève tout l’appareil génital qu’il brandit comme un trophée. Les deux testicules sont ensuite séparés et rangés précautionneusement dans un sac plastique.

Il le sait que cela ne sert à rien. Le mauvais gout que ça donne à la viande, c’est des conneries des anciens tout ça ; Mais pour lui ça restera toujours un prétexte. En regardant Bordat sourire, il explique :
- C’est qu’les y jetterait à la poubelle avec les tripes, à la dépiaute (au dépeçage) ! Ce gâchis ! Alors que linette, elle te cuisine ça avec de l’oignon et une sauce au vin que c’est un délice….Eh Bordat ! Si y en a d’autres, tu penses à moi hein !

Son fusil à la bretelle Mond prend le chemin du retour. Bordat se chargera du sanglier…..Son esprit est déjà parti ailleurs. Vers une grosse poule au pot et une bonne bouteille de vin rouge. Qui sait Leduc lui servira peut-être même l’apéro et si ça se trouve, la Fannie, elle fera la galette aux pommes de terre cet après-midi. Un morceau de galette aux patates, après la traque de l’après-midi, avec un coup de vin nouveau...