- alex57Cerf1000 Messages
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Le chapeau à plumes
Ven 16 Jan 2015 - 21:43
Histoire un peu longue mais vraie.
Le chapeau à plumes
Seul le tic tac de l’horloge rompt le silence et rythme le temps, la table de la cuisine encombrée par les restes du petit déjeuner est débarrassée d’un revers de manche. Sur le coin de la table il dépose une boite en fer blanc qui semble refermer un trésor.
Après avoir ôter délicatement le couvercle, il étale le contenu comme pour en faire l’inventaire, des petits sacs remplis de grenaille de plombs, un vieux sertisseur qu’il fixe au coin de la table, une chargette en cuivre, une boite de poudre T et une poignée de douilles de chasse calibre 16.
A l’aide d’un outil de sa fabrication il extrait les amorces percutées, pour les remplacer par des neuves, avec minutie il rempli sa chargette de poudre qu’il verse dans l’étui, tasse délicatement et place une rondelle de carton. Il répète les opérations jusqu’a épuisement des douilles préparées et les sépare en fonction de la couleur. Il s’arrête un instant et contemple le travail, son air ravi en dit long sur la journée qui s’annonce, dans quelques heures il va faire l’ouverture de la plume avec Monsieur le Baron, (entendez par là qu’il va faire l’ouverture de la chasse aux faisans et perdreaux avec l’adjudicataire de la chasse communale, qui rachète à bas prix toutes les maisons qui se vendent sur la commune pour en faire des résidences secondaires pour ses amis) et il a une réputation à tenir.
D’une boite en carton il sort une série de bourres grasses qu’il dispose suivant l’épaisseur dans chaque douille selon la couleur, puis encore une rondelle de carton et enfin la grenaille de plombs. Avec une infinie précaution il place une rondelle de liège sur les plombs pour obturer le tube et serti la cartouche d’un geste méthodique et précis.
Sept heures viennent de sonner, il se lève et se sert un café resté au chaud sur la cuisinière, range son attirail, enfile sa veste, met les cartouches dans ses poches, avale à la hâte son café décroche son vieux fusil et ferme la lumière en quittant la maison.
Sur le chemin qui le mène au rendez-vous de chasse, il se remémore les saisons passées, il ne peut s’empêcher de penser à cet invité de monsieur le Baron qui lui avait gâché son ouverture avec son chien Luke bourrant à plaisir les oiseaux calés sur leur place.
Le père André, comme l’appellent affectueusement les actionnaires de la société de chasse, est le garde-chasse, ses fonctions outre la garderie et le piégeage consistent à élever faisans, perdreaux, canards sur le territoire, mais aussi à approvisionner certaines friches en gibier de tir les jours de chasse au cas ou les tenues ne seraient pas fréquentées par les précieux volatiles. Ce jour là, ce brave Luke eut envie de se dégourdir les pattes, et mit sur ailes et sur pattes, tout ce qui se trouvait dans la parcelle, réduisant à néant le travail du père André qui depuis ce jour, regarde Luke et son maitre d’un oeil noir.
Arrivé le premier au rendez-vous, il allume la cheminée et se prépare à accueillir les premiers invités.
Comme à son habitude, le boulanger arrive avec une corbeille de croissants qu’il met à disposition de ceux qui auraient un petit creux avant la partie de chasse, Maurice le rejoint avec du café suivi par Roger, l’ambiance monte avec les nouveaux arrivants, de petits groupes selon les affinités se constituent. Monsieur le Baron arrive enfin , après les civilités d’usage, il procède au recensement des participants, accompagnateurs et chiens. Nous serons seize pour cette journée, douze fusils, quatre accompagnants, il y aura quatre chiens.
Les équipes sont constituées, comme le craignait le père André il se retrouve avec M. Louis et son insupportable Luke qui revient de dressage et maitrise, aux dires de son conducteur et maitre, l’arrêt ferme et la sagesse à l’envol. Le Baron sera de l’équipe ainsi que son petit fils en digne héritier puisque le Baron n’a qu’une fille qui préfère l’équitation à la chasse.
Les territoires seront tirés au sort au cours du rond où les consignes particulières de tir propres à chaque secteur seront rappelées.
Nous chasserons le bois brûlé, les champs Martin, et les vergers jusqu’au ruisseau. Le territoire recel bon nombre de faisans, et quelques compagnies de perdreaux bien volants. Pour la matinée chaque chasseur pourra prélever deux perdreaux, faisans sans limite.
Afin de refreiner les ardeurs de Luke, c’est à pied et en le tenant en laisse que l’on parcours les huit cents mètres qui nous séparent du rendez-vous au lieu de chasse.
Père André vous tiendrez la ligne à gauche, ensuite M. Louis, suivra mon petit fils David et je tiendrai la droite déclare le Baron donnant aussitôt l’ordre de marche.
Luke s’élance, à peine a-t-il fait quelques bonds qu’il se fige comme une statue .<<Arrêt M. Louis>>
Annonce le père André, Louis s’approche à pas mesurés vers un bosquet que Luke fixe avec insistance
Soudain avec un kok kok caractéristique de l’envol du coq faisan, le bel emplumé monte en chandelle
et plonge vers une parcelle de betteraves << trop loin>> répond M. Louis en levant son chapeau pour saluer l’oiseau et signaler aux autres chasseurs qu’il n’était pas à portée de tir.
Des coups de fusil retentirent dans la plaine voisine, ce qui laissait à penser qu’une équipe avait levé une compagnie de perdrix ce qui réjouit le Baron.
Une nouvelle fois Luke marque l’arrêt, mais un peu moins ferme, il coule doucement jusqu’à l’oiseau blotti, puis se lance dans une course folle après sa proie qui s’échappe. Une fois de plus M. Louis ne peut servir son chien, l’arrêt n’est pas ferme. Pour la septième fois M. Louis s’excuse, le père André qui d’habitude reste calme, fait remarquer à son voisin que le travail du chien doit être récompensé, sans quoi il chassera pour lui même et ça en sera fini de la belle complicité homme chien tant recherchée par le chasseur. Heureusement côté droit, David, le petit fils et le Baron sont déjà à trois pièces. Ce que redoutait le père André allait laisser des traces indélébiles dans les annales de la chasse du feldhasen.
La brise du matin se mit à changer en un vent un peu plus soutenu, quelques feuilles mortes dans un tourbillon ascendant affolèrent Luke, qui se mit à courir de tous côtés , emporté par son élan poussa sa quête jusqu’au bout du champ, faisant fuir tout ce qui se trouvait sur son passage. Ce pauvre M. Louis
déconfit sifflait et intimait à son auxiliaire l’ordre de venir au pied, peine perdue, l’animal est têtu.
Le regard du père André en dit long, et le Baron a vite compris que le lot était vidé de ses occupants.
Un peu vexé, il décide de passer directement à la parcelle du bois brûlé, son exposition plein sud la met à l’abri du vent, mais aussi n’a pas été foulée par Luke la tornade. Tout en progressant vers la parcelle indiquée, le Baron s’adresse discrètement au père André:<< allez y père André, faites le tableau, n’hésitez pas à tirer !>>. Très respectueux des usages, le père André ne tirait jamais plus que le Baron, ne tirait jamais avant un invité, mais lorsque le Baron s’adressait en ses termes, il était investi d’une mission et il ne faillirait pas.
Luke remis de ses frasques, commence calmement sa quête, le nez haut, et se bloque en un arrêt impeccable. M. Louis décide de servir son puppy, mais il a affaire à un vieux coq qui piète et coule loin avant de décoller dans un fracas d’ailes. Et M. Louis de lever son chapeau ‘’trop loin’’ c’est alors que le père André lève son vieux calibre 16, épaule et tire....... L’oiseau, dont les ailes cessent de battre, tombe comme une masse. Aussitôt, Luke accourt et rapporte fièrement le faisan qu’il dépose au pied de son maitre. Un peu gêné le père André récupère son bien, M. Louis le complimente ‘’joli coup’’, mais marmonne ‘’ de chance’’. L’équipe repart, nouvel envol....A vous M. Louis....... Crie David, une poule passe au dessus de la tête de M. Louis qui la manque, Père André à vous....Il lève son escopette, tire, coup du roi, l’oiseau tombe foudroyé à ses pieds.
La progression est lente, les faisans piètent beaucoup, M. Louis décidément en manque de veine, ne parvient pas à mettre la moindre pièce dans son carnier. Le père André continue son festival, poule, coq, et même une perdrix, ce qui met M. Louis d’humeur chagrine, mais la journée n’est pas finie.
Le retour vers le rendez vous se fait sans grands discours, les jambes se font un peu lourdes, la traversée d’un champ fraichement labouré avait alourdi les semelles, la pose déjeuner sera la bienvenue pour tout le monde.
A table, chacun raconte sa matinée, explique sa technique pour les tirs fuyants, vante son fusil, ses cartouches, M. Louis lui, ne dit rien. David, que le père André a vu grandir, lance la conversation:
la matinée n’a pas été très bonne M. Louis vous n’étiez pas en veine ce matin, les oiseaux étaient difficiles, il faut de la cartouches spéciale PA. Qu’est-ce donc demande alors M. Louis qui n’a jamais entendu parler de cette marque d’encartoucheur.
C’est la cartouche Père André, il recharge ses cartouches en mettant ce qu’il faut de poudre et de plombs en fonction du gibier, de la distance, du milieu. Ainsi donc ce matin dans ses coups de longueur, il utilisait le coup gauche chargé spécialement pour ça et pour le coup du roi, le coup droit de même pour le tir au ‘’cul levé’’. M. Louis écoute, ébahi par les révélations faites par le jeune David, les gestes qui semblaient anodins le matin, prennent tout à coup un sens, le tri des couleurs alors qu’il y a le même numéro de plombs sur l’obturateur........Il fallait y penser.
Le repas terminé, le Baron sonne le rappel, donne les consignes pour faire les taillis c’est une succession de haies et bosquets où vient se réfugier le gibier en manque de couvert, il n’est pas rare d’y trouver une forte concentration d’oiseaux, le Baron rappel les règles de prudence, et chacun rejoint son équipe pour le départ.
Le père André arrache quelques plumes à la queue d’un faisan et en un petit rituel sympathique met David à l’honneur: tient puisque c’est ton premier coq faisan tu as droit à son trophée et il fixe les plumes à son chapeau.
C’est par petits groupes que les chasseurs se rendent sur le lieu de chasse, M. Louis emboite le pas du père André avec Luke ‘’dans ses bottes’’. Après quelques banalités, M. Louis ose une question à propos des cartouches PA .
-Dites moi père André c’est bien du 16 que vous tirez?
- Mais oui, ça fait.......cinquante ans que j’y suis fidèle.
-Me permettriez vous d’essayer vos cartouches, on en dit le plus grand bien, et je dois avouer que la chance n’y est pour rien, veuillez pardonner ma remarque désobligeante de ce matin.
-C’est oublié M. Louis; que voulez vous, j’ai du N° 5 et du N°7
-Que pensez vous du 7 père André est ce un bon choix dans ces taillis?
-Le meilleur, les coup seront à bonnes portées, sauf pour la grande haie en retour, où là les oiseaux prendront le vent, et il faudra du solide.
Le père André fouille ses poches, sort une poignée de cartouches vertes, une poignée de cartouches bleues et deux cartouches rouges.
M. Louis examine les munitions, et fait remarquer innocemment les couleurs différentes pour un même numéro de plombs, et d’ajouter qu’il y a risque de confusion si on ne prend pas garde au numéro inscrit sur l’obturateur.
Le père André amusé par les commentaires lui explique les subtilités de sa démarche, tout est simple, il suffit de mettre les cartouches au bon endroit pour les numéros, pour la couleur, le vert pour tirer vers la verdure, le bleu pour tirer au dessus de la ligne bleue de l’horizon.
Intrigué par les cartouches rouges, M. Louis ose la question: et celle-ci alors où et quand les utiliser ?
Le sourire du père André ne le rassure qu’à demi. Le rouge dit-il c’est quand je vois rouge, quand le vert et le bleu ne suffisent plus, que ça file comme le vent, mais c’est très rare, c’est pour cette raison que je ne vous en donne que deux ce sera largement suffisant pour terminer la journée.
Dans cette dernière partie, une haie d’épines noires sépare la parcelle chassée, le père André et David seront sur le côté gauche, sous le vent tandis que M. Louis et le Baron seront à droite, à l’abri du vent.
Un coup bref de pibole met la petite troupe en marche, et déjà les coups de fusils retentissent deux puis quatre, à entendre la cadence de tir, il doit y avoir pléthore d’oiseaux remisés à l’abri du vent.
David tente quelques coups, mais les oiseaux prennent le vent et passent rapidement au dessus de la haie, et sont immédiatement salués par une salve tirée par M. Louis qui se trouve juste derrière, à entendre les jurons, la réussite n’est pas au rendez vous.
Le vent se renforce, les tirs sont plus aléatoires, le Baron se demande si il ne faut pas interrompre la chasse tant il est difficile de suivre la trajectoire des oiseaux en vol, et compte tenu de nombre de faisans qui filent à pattes refusant l’envol.
David qui luttait contre les bourrasques, se retrouva décoiffé par une rafale plus forte que les autres, son chapeau pris dans un tourbillon s’envola par dessus la haie.
Une nouvelle fois M. Louis épaule et tire. Enfin en voilà un, je l’ai eu .........Luke cherche, apporte!
Luke cherche, tourne, revient bredouille. Ce n’est pas possible, je l’ai bien vu tombé cherche encore Luke!
Le vent est toujours aussi fort, le Baron qui a sonné la fin de la traque, vient aux nouvelles M. Louis lui explique: << ça volait de tous les côtés, je ne savais plus où donner de la tête, et j’avais brûlé toutes mes cartouches. A ce moment comme dit le père André, j’ai vu rouge alors j’ai chargé mon fusil des deux cartouches rouges qu’il m’avait donné, et là, lorsque que le faisan est passé à toute vitesse par dessus la haie, j’ai envoyé mes deux coups qui l’ont foudroyé mais le chien ne l’a pas retrouvé>>.
David et le père André arrivent à leur tour et entendent une nouvelle fois l’exploit et la déception de ne pas retrouver ce gibier de haut vol, qui va placer M. Louis au rang des grandes gâchettes.
Le père André fait preuve une fois de plus s’il en est besoin de ses compétence en matière de chasse et de petits trucs pour retrouver un gibier, entre le quadrillage du terrain, la recherche circulaire ou encore remettre le tireur en position, donner la direction et le moment du coup de feu. Il est important de retrouver tout gibier abattu, par respect pour l‘animal, pour l’éthique d’un chasseur digne de ce nom.
M. Louis dirige le père André qui s’avance d’une trentaine de mètres dans la direction indiquée.
-Voilà stop, c’est ici que j’ai tiré, la trajectoire allait vers le sorbier qui dépasse les buissons.
Le père André s’avance maintenant vers l’arbre désigné, il marche d’un pas tranquille, observant à droite et à gauche suivi par Luke, quand soudain M. Louis s’écrie: c’est là qu’il a disparu!
Le père André écarte un peu les broussailles, je vois quelque chose mais.........M. Louis ne tient plus
-Alors il est beau, pas trop abimé?
Non M. Louis pas abimé du tout, mais c’est un magnifique chapeau à plumes! Viens David j’ai retrouvé ton chapeau.
M. Louis confus essaie de balbutier quelques excuses, je ne comprends pas ce qui s’est passé, j’ai bien vu un faisan voler à toute allure, ce ne peut être ce chapeau, il n’y a pas de plombs dedans, et ce sont les cartouches rouges du père André.
Le sourire du père André dissipe les doutes, que vous ai-je dit à propos des cartouches rouges, que je ne les utilisais que lorsque je voyais rouge, on ne tire pas sous le coup de la colère, et c’est un peu ce qui s’est passé, Luke qui n’est pas au mieux, le vent, les oiseaux vifs et naturels vous ont un peu malmené,
J’ai toujours en réserve quelques cartouches rouges, elles sont chargées de gros sel, la manière est peu élégante, mais la nature est belle, il faut la préserver, un gibier doit être identifié avant d’être tiré, et si les conditions ne sont pas favorables, il faut s’abstenir.
L’affaire du chapeau à plumes a fait grand bruit dans tout le canton, M. Louis n’a plus été invité, Luke quant à lui, chien de grande lignée a été adopté par le père André pour le bonheur de tous.
Le chapeau à plumes
Seul le tic tac de l’horloge rompt le silence et rythme le temps, la table de la cuisine encombrée par les restes du petit déjeuner est débarrassée d’un revers de manche. Sur le coin de la table il dépose une boite en fer blanc qui semble refermer un trésor.
Après avoir ôter délicatement le couvercle, il étale le contenu comme pour en faire l’inventaire, des petits sacs remplis de grenaille de plombs, un vieux sertisseur qu’il fixe au coin de la table, une chargette en cuivre, une boite de poudre T et une poignée de douilles de chasse calibre 16.
A l’aide d’un outil de sa fabrication il extrait les amorces percutées, pour les remplacer par des neuves, avec minutie il rempli sa chargette de poudre qu’il verse dans l’étui, tasse délicatement et place une rondelle de carton. Il répète les opérations jusqu’a épuisement des douilles préparées et les sépare en fonction de la couleur. Il s’arrête un instant et contemple le travail, son air ravi en dit long sur la journée qui s’annonce, dans quelques heures il va faire l’ouverture de la plume avec Monsieur le Baron, (entendez par là qu’il va faire l’ouverture de la chasse aux faisans et perdreaux avec l’adjudicataire de la chasse communale, qui rachète à bas prix toutes les maisons qui se vendent sur la commune pour en faire des résidences secondaires pour ses amis) et il a une réputation à tenir.
D’une boite en carton il sort une série de bourres grasses qu’il dispose suivant l’épaisseur dans chaque douille selon la couleur, puis encore une rondelle de carton et enfin la grenaille de plombs. Avec une infinie précaution il place une rondelle de liège sur les plombs pour obturer le tube et serti la cartouche d’un geste méthodique et précis.
Sept heures viennent de sonner, il se lève et se sert un café resté au chaud sur la cuisinière, range son attirail, enfile sa veste, met les cartouches dans ses poches, avale à la hâte son café décroche son vieux fusil et ferme la lumière en quittant la maison.
Sur le chemin qui le mène au rendez-vous de chasse, il se remémore les saisons passées, il ne peut s’empêcher de penser à cet invité de monsieur le Baron qui lui avait gâché son ouverture avec son chien Luke bourrant à plaisir les oiseaux calés sur leur place.
Le père André, comme l’appellent affectueusement les actionnaires de la société de chasse, est le garde-chasse, ses fonctions outre la garderie et le piégeage consistent à élever faisans, perdreaux, canards sur le territoire, mais aussi à approvisionner certaines friches en gibier de tir les jours de chasse au cas ou les tenues ne seraient pas fréquentées par les précieux volatiles. Ce jour là, ce brave Luke eut envie de se dégourdir les pattes, et mit sur ailes et sur pattes, tout ce qui se trouvait dans la parcelle, réduisant à néant le travail du père André qui depuis ce jour, regarde Luke et son maitre d’un oeil noir.
Arrivé le premier au rendez-vous, il allume la cheminée et se prépare à accueillir les premiers invités.
Comme à son habitude, le boulanger arrive avec une corbeille de croissants qu’il met à disposition de ceux qui auraient un petit creux avant la partie de chasse, Maurice le rejoint avec du café suivi par Roger, l’ambiance monte avec les nouveaux arrivants, de petits groupes selon les affinités se constituent. Monsieur le Baron arrive enfin , après les civilités d’usage, il procède au recensement des participants, accompagnateurs et chiens. Nous serons seize pour cette journée, douze fusils, quatre accompagnants, il y aura quatre chiens.
Les équipes sont constituées, comme le craignait le père André il se retrouve avec M. Louis et son insupportable Luke qui revient de dressage et maitrise, aux dires de son conducteur et maitre, l’arrêt ferme et la sagesse à l’envol. Le Baron sera de l’équipe ainsi que son petit fils en digne héritier puisque le Baron n’a qu’une fille qui préfère l’équitation à la chasse.
Les territoires seront tirés au sort au cours du rond où les consignes particulières de tir propres à chaque secteur seront rappelées.
Nous chasserons le bois brûlé, les champs Martin, et les vergers jusqu’au ruisseau. Le territoire recel bon nombre de faisans, et quelques compagnies de perdreaux bien volants. Pour la matinée chaque chasseur pourra prélever deux perdreaux, faisans sans limite.
Afin de refreiner les ardeurs de Luke, c’est à pied et en le tenant en laisse que l’on parcours les huit cents mètres qui nous séparent du rendez-vous au lieu de chasse.
Père André vous tiendrez la ligne à gauche, ensuite M. Louis, suivra mon petit fils David et je tiendrai la droite déclare le Baron donnant aussitôt l’ordre de marche.
Luke s’élance, à peine a-t-il fait quelques bonds qu’il se fige comme une statue .<<Arrêt M. Louis>>
Annonce le père André, Louis s’approche à pas mesurés vers un bosquet que Luke fixe avec insistance
Soudain avec un kok kok caractéristique de l’envol du coq faisan, le bel emplumé monte en chandelle
et plonge vers une parcelle de betteraves << trop loin>> répond M. Louis en levant son chapeau pour saluer l’oiseau et signaler aux autres chasseurs qu’il n’était pas à portée de tir.
Des coups de fusil retentirent dans la plaine voisine, ce qui laissait à penser qu’une équipe avait levé une compagnie de perdrix ce qui réjouit le Baron.
Une nouvelle fois Luke marque l’arrêt, mais un peu moins ferme, il coule doucement jusqu’à l’oiseau blotti, puis se lance dans une course folle après sa proie qui s’échappe. Une fois de plus M. Louis ne peut servir son chien, l’arrêt n’est pas ferme. Pour la septième fois M. Louis s’excuse, le père André qui d’habitude reste calme, fait remarquer à son voisin que le travail du chien doit être récompensé, sans quoi il chassera pour lui même et ça en sera fini de la belle complicité homme chien tant recherchée par le chasseur. Heureusement côté droit, David, le petit fils et le Baron sont déjà à trois pièces. Ce que redoutait le père André allait laisser des traces indélébiles dans les annales de la chasse du feldhasen.
La brise du matin se mit à changer en un vent un peu plus soutenu, quelques feuilles mortes dans un tourbillon ascendant affolèrent Luke, qui se mit à courir de tous côtés , emporté par son élan poussa sa quête jusqu’au bout du champ, faisant fuir tout ce qui se trouvait sur son passage. Ce pauvre M. Louis
déconfit sifflait et intimait à son auxiliaire l’ordre de venir au pied, peine perdue, l’animal est têtu.
Le regard du père André en dit long, et le Baron a vite compris que le lot était vidé de ses occupants.
Un peu vexé, il décide de passer directement à la parcelle du bois brûlé, son exposition plein sud la met à l’abri du vent, mais aussi n’a pas été foulée par Luke la tornade. Tout en progressant vers la parcelle indiquée, le Baron s’adresse discrètement au père André:<< allez y père André, faites le tableau, n’hésitez pas à tirer !>>. Très respectueux des usages, le père André ne tirait jamais plus que le Baron, ne tirait jamais avant un invité, mais lorsque le Baron s’adressait en ses termes, il était investi d’une mission et il ne faillirait pas.
Luke remis de ses frasques, commence calmement sa quête, le nez haut, et se bloque en un arrêt impeccable. M. Louis décide de servir son puppy, mais il a affaire à un vieux coq qui piète et coule loin avant de décoller dans un fracas d’ailes. Et M. Louis de lever son chapeau ‘’trop loin’’ c’est alors que le père André lève son vieux calibre 16, épaule et tire....... L’oiseau, dont les ailes cessent de battre, tombe comme une masse. Aussitôt, Luke accourt et rapporte fièrement le faisan qu’il dépose au pied de son maitre. Un peu gêné le père André récupère son bien, M. Louis le complimente ‘’joli coup’’, mais marmonne ‘’ de chance’’. L’équipe repart, nouvel envol....A vous M. Louis....... Crie David, une poule passe au dessus de la tête de M. Louis qui la manque, Père André à vous....Il lève son escopette, tire, coup du roi, l’oiseau tombe foudroyé à ses pieds.
La progression est lente, les faisans piètent beaucoup, M. Louis décidément en manque de veine, ne parvient pas à mettre la moindre pièce dans son carnier. Le père André continue son festival, poule, coq, et même une perdrix, ce qui met M. Louis d’humeur chagrine, mais la journée n’est pas finie.
Le retour vers le rendez vous se fait sans grands discours, les jambes se font un peu lourdes, la traversée d’un champ fraichement labouré avait alourdi les semelles, la pose déjeuner sera la bienvenue pour tout le monde.
A table, chacun raconte sa matinée, explique sa technique pour les tirs fuyants, vante son fusil, ses cartouches, M. Louis lui, ne dit rien. David, que le père André a vu grandir, lance la conversation:
la matinée n’a pas été très bonne M. Louis vous n’étiez pas en veine ce matin, les oiseaux étaient difficiles, il faut de la cartouches spéciale PA. Qu’est-ce donc demande alors M. Louis qui n’a jamais entendu parler de cette marque d’encartoucheur.
C’est la cartouche Père André, il recharge ses cartouches en mettant ce qu’il faut de poudre et de plombs en fonction du gibier, de la distance, du milieu. Ainsi donc ce matin dans ses coups de longueur, il utilisait le coup gauche chargé spécialement pour ça et pour le coup du roi, le coup droit de même pour le tir au ‘’cul levé’’. M. Louis écoute, ébahi par les révélations faites par le jeune David, les gestes qui semblaient anodins le matin, prennent tout à coup un sens, le tri des couleurs alors qu’il y a le même numéro de plombs sur l’obturateur........Il fallait y penser.
Le repas terminé, le Baron sonne le rappel, donne les consignes pour faire les taillis c’est une succession de haies et bosquets où vient se réfugier le gibier en manque de couvert, il n’est pas rare d’y trouver une forte concentration d’oiseaux, le Baron rappel les règles de prudence, et chacun rejoint son équipe pour le départ.
Le père André arrache quelques plumes à la queue d’un faisan et en un petit rituel sympathique met David à l’honneur: tient puisque c’est ton premier coq faisan tu as droit à son trophée et il fixe les plumes à son chapeau.
C’est par petits groupes que les chasseurs se rendent sur le lieu de chasse, M. Louis emboite le pas du père André avec Luke ‘’dans ses bottes’’. Après quelques banalités, M. Louis ose une question à propos des cartouches PA .
-Dites moi père André c’est bien du 16 que vous tirez?
- Mais oui, ça fait.......cinquante ans que j’y suis fidèle.
-Me permettriez vous d’essayer vos cartouches, on en dit le plus grand bien, et je dois avouer que la chance n’y est pour rien, veuillez pardonner ma remarque désobligeante de ce matin.
-C’est oublié M. Louis; que voulez vous, j’ai du N° 5 et du N°7
-Que pensez vous du 7 père André est ce un bon choix dans ces taillis?
-Le meilleur, les coup seront à bonnes portées, sauf pour la grande haie en retour, où là les oiseaux prendront le vent, et il faudra du solide.
Le père André fouille ses poches, sort une poignée de cartouches vertes, une poignée de cartouches bleues et deux cartouches rouges.
M. Louis examine les munitions, et fait remarquer innocemment les couleurs différentes pour un même numéro de plombs, et d’ajouter qu’il y a risque de confusion si on ne prend pas garde au numéro inscrit sur l’obturateur.
Le père André amusé par les commentaires lui explique les subtilités de sa démarche, tout est simple, il suffit de mettre les cartouches au bon endroit pour les numéros, pour la couleur, le vert pour tirer vers la verdure, le bleu pour tirer au dessus de la ligne bleue de l’horizon.
Intrigué par les cartouches rouges, M. Louis ose la question: et celle-ci alors où et quand les utiliser ?
Le sourire du père André ne le rassure qu’à demi. Le rouge dit-il c’est quand je vois rouge, quand le vert et le bleu ne suffisent plus, que ça file comme le vent, mais c’est très rare, c’est pour cette raison que je ne vous en donne que deux ce sera largement suffisant pour terminer la journée.
Dans cette dernière partie, une haie d’épines noires sépare la parcelle chassée, le père André et David seront sur le côté gauche, sous le vent tandis que M. Louis et le Baron seront à droite, à l’abri du vent.
Un coup bref de pibole met la petite troupe en marche, et déjà les coups de fusils retentissent deux puis quatre, à entendre la cadence de tir, il doit y avoir pléthore d’oiseaux remisés à l’abri du vent.
David tente quelques coups, mais les oiseaux prennent le vent et passent rapidement au dessus de la haie, et sont immédiatement salués par une salve tirée par M. Louis qui se trouve juste derrière, à entendre les jurons, la réussite n’est pas au rendez vous.
Le vent se renforce, les tirs sont plus aléatoires, le Baron se demande si il ne faut pas interrompre la chasse tant il est difficile de suivre la trajectoire des oiseaux en vol, et compte tenu de nombre de faisans qui filent à pattes refusant l’envol.
David qui luttait contre les bourrasques, se retrouva décoiffé par une rafale plus forte que les autres, son chapeau pris dans un tourbillon s’envola par dessus la haie.
Une nouvelle fois M. Louis épaule et tire. Enfin en voilà un, je l’ai eu .........Luke cherche, apporte!
Luke cherche, tourne, revient bredouille. Ce n’est pas possible, je l’ai bien vu tombé cherche encore Luke!
Le vent est toujours aussi fort, le Baron qui a sonné la fin de la traque, vient aux nouvelles M. Louis lui explique: << ça volait de tous les côtés, je ne savais plus où donner de la tête, et j’avais brûlé toutes mes cartouches. A ce moment comme dit le père André, j’ai vu rouge alors j’ai chargé mon fusil des deux cartouches rouges qu’il m’avait donné, et là, lorsque que le faisan est passé à toute vitesse par dessus la haie, j’ai envoyé mes deux coups qui l’ont foudroyé mais le chien ne l’a pas retrouvé>>.
David et le père André arrivent à leur tour et entendent une nouvelle fois l’exploit et la déception de ne pas retrouver ce gibier de haut vol, qui va placer M. Louis au rang des grandes gâchettes.
Le père André fait preuve une fois de plus s’il en est besoin de ses compétence en matière de chasse et de petits trucs pour retrouver un gibier, entre le quadrillage du terrain, la recherche circulaire ou encore remettre le tireur en position, donner la direction et le moment du coup de feu. Il est important de retrouver tout gibier abattu, par respect pour l‘animal, pour l’éthique d’un chasseur digne de ce nom.
M. Louis dirige le père André qui s’avance d’une trentaine de mètres dans la direction indiquée.
-Voilà stop, c’est ici que j’ai tiré, la trajectoire allait vers le sorbier qui dépasse les buissons.
Le père André s’avance maintenant vers l’arbre désigné, il marche d’un pas tranquille, observant à droite et à gauche suivi par Luke, quand soudain M. Louis s’écrie: c’est là qu’il a disparu!
Le père André écarte un peu les broussailles, je vois quelque chose mais.........M. Louis ne tient plus
-Alors il est beau, pas trop abimé?
Non M. Louis pas abimé du tout, mais c’est un magnifique chapeau à plumes! Viens David j’ai retrouvé ton chapeau.
M. Louis confus essaie de balbutier quelques excuses, je ne comprends pas ce qui s’est passé, j’ai bien vu un faisan voler à toute allure, ce ne peut être ce chapeau, il n’y a pas de plombs dedans, et ce sont les cartouches rouges du père André.
Le sourire du père André dissipe les doutes, que vous ai-je dit à propos des cartouches rouges, que je ne les utilisais que lorsque je voyais rouge, on ne tire pas sous le coup de la colère, et c’est un peu ce qui s’est passé, Luke qui n’est pas au mieux, le vent, les oiseaux vifs et naturels vous ont un peu malmené,
J’ai toujours en réserve quelques cartouches rouges, elles sont chargées de gros sel, la manière est peu élégante, mais la nature est belle, il faut la préserver, un gibier doit être identifié avant d’être tiré, et si les conditions ne sont pas favorables, il faut s’abstenir.
L’affaire du chapeau à plumes a fait grand bruit dans tout le canton, M. Louis n’a plus été invité, Luke quant à lui, chien de grande lignée a été adopté par le père André pour le bonheur de tous.
- vendéenCerf3000 Messages
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Re: Le chapeau à plumes
Ven 16 Jan 2015 - 23:39
Merci du partage . Chapeau (oui, elle est facile!)
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Guy, alias "vendéen"
Ce n'est pas parce que l'homme a soif d'amour qu'il doit se jeter sur la première gourde ...
Re: Le chapeau à plumes
Sam 17 Jan 2015 - 1:16
Merci Alex57!
Très bonne histoire! Pas mal, le moyen mnémotechnique de la cartouche verte pour le bois et bleue pour le ciel! Par contre, recharger ses cartouches le matin même, il faut quand même oser... Moi, je suis beaucoup plus organisé, je recharge d'habitude la veille au soir et jusquà une ou deux heures du matin...
Merci encore pour le partage.
Très bonne histoire! Pas mal, le moyen mnémotechnique de la cartouche verte pour le bois et bleue pour le ciel! Par contre, recharger ses cartouches le matin même, il faut quand même oser... Moi, je suis beaucoup plus organisé, je recharge d'habitude la veille au soir et jusquà une ou deux heures du matin...
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Amicalement,
- carpetSanglier
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Re: Le chapeau à plumes
Dim 18 Jan 2015 - 12:24
Merçi Alex !
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ENORA,,,,revient parmi nous !
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